Colin Stetson - New History Warfare Vol. 2: Judges (Constellation, 2011)


Colin Stetson: alto, tenor & bass saxophones, french horn
Laurie Anderson: vocals
Shara Worden: vocals

Pas forcément très connu dans le milieu des musiques expérimentales ou improvisées, Colin Stetson (basé à Montréal) est plus connu pour avoir fait ses armes en tant que saxophoniste aux côtés d'Arcade Fire et de Tom Waits. Pour ce deuxième volume du New History Warfare, publié par le label canadien Constellation - célèbre pour ses productions orientées vers le post-rock, Stetson nous réserve l'agréable surprise d'inviter une des chanteuses expérimentales les plus reconnues: Laurie Anderson, ainsi que la chanteuse de My brightest diamond: Shara Worden.

Les musiciens, autant que les auditeurs et les lecteurs, n'aiment généralement pas les catégories, puisqu'elles finissent nécessairement par formaliser et institutionnaliser la musique; mais en attendant elles me facilitent la tâche, même si l'affaire Stetson se démarque par l'utilisation très singulière des genres. Car les saxophones de Stetson naviguent certes sur des terrains connus: de la pop à la noise en passant par le free jazz, l'indus et la trance. Mais il n'en reste pas moins que Stetson adopte suffisamment peu les formes conventionnelles ou bien il les mélange trop pour rendre toute tentative de catalogage précis impossible. Assez répétitif et binaire pour être de la pop, mais pas assez facile et "beau" (selon les canons esthétiques de cette forme); assez lancinant et violent pour du rock, mais souvent trop long ou trop instable; idem pour le reste: si l'on peut apercevoir des éléments issus de l'improvisation libre, de la noise et de l'indus, c'est toutefois trop propre, trop écrit, clairement structuré et acoustique pour en être.

Qu'est-ce qui se passe alors pendant cette heure? En général, le caractère des compositions est assez mélancolique, parfois même triste et sombre, on sent constamment une tension et une rage latentes mais pas nécessairement exprimées musicalement. Et tous les codes issus de n'importe quel genre sont utilisés pour parvenir à ce résultat: les techniques étendues de l'improvisation et de la musique savante, la polyphonie de la musique baroque, les rythmes et les mélodies entêtantes du rock et de la trance, le son rauque ou sale de l'indus et de la noise, les mélodies harmonieuses, les progressions arpégiques. Les saxophones sont utilisés en souffle continu, ou servent de pédale d'effet à la voix éructante de Stetson, ou alors les tampons servent de batterie ou de section rythmique. Le langage de Stetson est virtuose (tout comme l'enregistrement basé sur 20 micros disposés un peu partout dans le studio) mais clair et simple, Stetson parle un langage connu de tous, il cherche une langue universelle qui défie les genres et les cases, les oppositions et les manipulations.

Une musique universelle pour cracher à la gueule du monde entier le dégoût de ce monde? En tout cas, Stetson est aussi loin de l'élitisme que de la joie... Par contre, il est au plus proche de l'essence de la musique: un langage universel et une expression matérielle et artistique de la vie consciente et affective. Et ceci sans dénier la réalité paradoxale d'une universalité basée sur des formes et des conventions culturelles, historiques et sociales (comme l'utilisation de la tonalité, d'un certain type de division du temps) qui se retrouvent complètement dépassées dans cette œuvre hautement créative et sensible, virtuose et magnifiquement structurée. A écouter, ré-écouter, digérer, intégrer, assimiler et partager!

01. Awake on foreign shores / 02. Judges / 3. The stars in his head (Dark Lights Remix) / 4. All the days I've missed you (ILAIJ I) / 5. From no part of me could I summon a voice / 6. A dream of water / 7. Home / 8. Lord I just can't keep from crying sometimes / 9. Clothed in the skin of the dead / 10. All the colors bleached to white (ILAIJ II) / 11. Red Horse (Judges ll) / 12. The righteous wrath of an honorable man / 13. Fear of the unknown and the blazing sun / 14. In love and in justice