Joe McPhee & Chris Corsano - Under A Double Moon (Roaratorio, 2011)
Joe McPhee: saxophones, trompette
Chris Corsano: batterie
Corsano désire-t-il devenir le nouveau Rashied Ali? En tout cas, il ne cache pas ses affinités pour la forme duo, et tout particulièrement pour la formation sax/batterie devenue presque incontournable dans le free jazz depuis Interstellar Space, et dont il s'est fait une spécialité avec Paul Flaherty et leur projet The hated Music. Sur ces cinq plages enregistrées live à Paris, son acolyte n'est rien de moins que l'immense saxophoniste et trompettiste Joe McPhee. Difficile de critiquer ces musiciens que j'adore car leur rencontre n'est pas forcément une réussite, du fait de leurs personnalités pas toujours conciliables, mais je crois que la tentative valait quand même le coup d'être publiée, et qu'elle vaut la peine d'être entendue. Un dialogue étrange donc, puisque les deux musiciens sont, chacun à leur manière, d'un charisme très marqué. Il y a alors une sorte de difficulté à concilier l'énergie survoltée et tentaculaire de Corsano à l'éclectisme et au lyrisme parfois abstrait de McPhee.
La magie symbiotique du duo n'a pas toujours lieu car ces deux individualités sont trop fortes et trop marquées, presque au point de s'exclure l'une l'autre. Aucun problème lorsque le jeu de McPhee se fait intense et volubile, Corsano est toujours là pour faire monter la sauce; mais dès que le phrasé de McPhee se plonge dans un univers lyrique (et souvent magnifique), les percussions se font fébriles, mal assurées-assumées, et Corsano fait alors le bon choix de laisser place à un silence éloquent (délibérément ou par obligation?). Mais n'oublions pas toutes ces phases d'une intensité et d'une virtuosité époustouflantes, ces phases où un véritable dialogue s'enclenche et entraîne les improvisateurs dans une spirale d'énergie qui ne manque ni de souffle ni de puissance. Et McPhee, dans ces moments, trouve toujours le moment opportun pour rééquilibrer l'intensité, cette intensité qui pourrait vite devenir épuisante et lassante s'il ne faisait que suivre le maximalisme de Corsano.
Du coup, lorsque je vois le titre de ce vinyle, Under a double moon, j'ai envie de penser qu'il s'agit de la conscience que chacun des musiciens a d'appartenir à deux univers distincts et séparés. Ce disque proviendrait alors peut-être de la volonté de surmonter cette altérité et de dépasser l'exclusion en créant un dialogue en quête d'universalité qui conserve autant les talents que les défauts de chacun. Sous cette "double lune" surgit une autre planète où dialogue et écoute sont possibles sans renier ni dénier l'individualité et les caractéristiques d'autrui. Corsano et McPhee cultivent leurs différences en les confrontant mais aussi en les assimilant dès que possible: sans vouloir verser systématiquement dans une interprétation politique de la musique, peut-être est-ce là une allégorie d'un monde possible où l'individu pourrait s'épanouir et se développer dans une communauté sans se fondre ni se noyer dans la masse. Dialogue entre deux musiciens (McPhee et Corsano) et entre deux théoriciens qui ont tout intérêt à se rencontrer (Marx et Stirner).
Tracklist: 01-Dark Matter (1st Part); 02-Dark Matter (2nd Part); 03-New Voices; 04-For Giuseppe Logan; 05-In Lieu Of Flowers