Sébastien Bouhana - Tambour, pas tant (Insubordinations, 2011)



Sébastien Bouhana: grosse caisse horizontale, objets

5 ans après avoir inauguré le netlabel suisse Insubordinations en compagnie de Heddy Boubaker, Sébastien Bouhana revient à la charge, mais cette fois-ci, en solo. On a toujours le souvenir d'un jeu discret, minimaliste et éclaté; mais depuis, Bouhana s'est considérablement affirmé, sa musique a désormais atteint des profondeurs vertigineuses et une clarté aveuglante. En fait, je crois qu'il va être difficile de mettre des mots sur Tambour, pas tant tellement j'ai été bouleversé par cette écoute...mais bon, essayons.

J'ai déjà mis deux mots: bouleversement et profondeur. Qu'est-ce qui les lie? C'est que Bouhana, frottant cymbales et différents objets métalliques sur la peau de sa grosse caisse, accède a une dimension méconnue du son, cette dimension est peut-être bouleversante parce qu'elle a toujours été présente dans la nature du corps résonnant mais n'a jamais eu l'occasion d'accéder à notre esprit, notre perception étant trop réduite et imparfaite. Le bouleversement résiderait alors peut-être dans l'élargissement de notre perception et de nos sens, élargissement rendu possible par l'exploration sonore abyssale de la grosse caisse et des objets utilisés. Si Bouhana accède au plus profond des vibrations sonores, il accède du même coup au plus profond de notre perception et de notre être donc. Il y a, à mon avis, un lien direct entre la profondeur sonore atteinte et l'apparition d'une perception beaucoup plus aiguë qui nous bouleverse car elle nous plonge dans un autre univers tout d'abord sonore, mais également cosmique puisque la perception est constituée de tous les sens qui agissent aussi les uns sur les autres.

La musique de Bouhana est extrêmement sensuelle (sensationnaliste dirait Pessoa) et corporelle. Aucun formalisme ni intellectualisme n'est à l'œuvre ici, l'exploration est seulement médiatisée par le corps et les sens: la peau de la percussion prolonge l'organisme de Bouhana, les sens médiatisent et réalisent ce prolongement en donnant vie à des résonances inattendues et inouïes. Cymbales, ressorts et autres objets métalliques sont frottés, caressés, grattés à la peau de la grosse caisse durant trois longues plages (bientôt peut-être un structuraliste déchu ou un numérologue christique et mystique sortira une thèse sur la "trinité dans l'improvisation") ne laissant aucune place au silence. Le flux est continu, l'intensité toujours portée par une sorte de pulsation toujours sous-jacente et à peine perceptible, une pulsation qui est plus présente dans le corps de Bouhana que dans sa musique, une pulsation primitive et inconsciente qui se transmet plus physiquement que musicalement et intellectuellement. La musique de Bouhana est faite de résonance connue par les sens et non par l'intellect: chaque objet est senti, entendu, vu, touché, gouté afin d'être connu au plus profond de son être.

Je crois que je me bats contre des moulins puisque ce que j'essaye d'expliquer, c'est le processus par lequel j'en suis arrivé à être autant touché, quand bien même ce processus est extérieur à la raison et au discours, donc à l'explication... Pas besoin de raisonner, il suffit de vivre cette exploration abyssale, une fois, deux fois, etc... Car à chaque écoute, une texture inaperçue (elles s'enchainent toutes imperceptiblement) révèle sa richesse et sa profondeur (toujours), et ce timbre entraîne pour l'auditeur de nouvelles sensations, etc. 3 séquences d'une richesse inépuisable, d'une profondeur surhumaine, d'une chaleur organique, d'une sensibilité aiguë, et surtout, notons que ces 3 plages ne paraissent pas vraiment en lien avec l'histoire de la musique, sans dire que Bouhana est extérieur à toute influence (on sent les approches de Murayama, Gouband, Pontevia et même Lovens), il me paraît juste se situer dans un dialogue à trois ultra-personnel, avec ses objets et sa grosse caisse, en-dehors des problématiques sur la forme musicale, l'improvisation, et des confrontations entre la musique savante et la musique populaire. Bouhana navigue dans le son même, explore sa texture et communique ses couleurs avec générosité. Un putain de chef d'œuvre!

A télécharger gratuitement sur le site d'INSUBORDINATIONS.
Une vidéo d'un concert (2010) de 30 min. est également disponible sur le site du Grand Chahut Collectif, intéressant pour saisir les techniques de Bouhana.

Tracklist: 01-Evoquée / 02-Une vieille connaissance / 03-Très nettement