Peter Evans Quintet - Ghosts (More is More, 2011)
Peter Evans: trompette
Carlos Homs: piano
Sam Pluta: ordinateur
Tom Blancarte: bass
Jim Black: batterie
Première sortie du nouveau label de Peter Evans, Ghosts est une mine de virtuosités, autant dans l'écriture complexe et variée que dans les techniques d'improvisation. Si le titre évoque immédiatement Albert Ayler, l'intention principale est véritablement calquée sur l'esprit du légendaire ténor du free jazz: la relecture, non des standards (toutes les compositions sont d'Evans), mais de l'esprit des musiques qui ont marqué un des trompettistes les plus innovants et énergiques depuis quelques années. Les thèmes, les compositions et les improvisations sont tous empreints des codes ou des signes du free jazz (notamment dans les improvisations collectives, mais surtout dans l'énergie générale), du bop, du jazz New-Orleans clinquant et brillant, comme de la ballade mielleuse et mainstream. Ce qui nous donne une musique intense et puissante, swinguante, collective, dynamique et éclectique.
Je prends un petit moment pour faire une mention spéciale à Sam Pluta qui apporte une touche électronique à ce quintet. Il est certainement ce qui amène le plus de singularité et d'intensité avec son ordinateur excentrique et parfois incongru qui trouve toujours sa place entre accompagnement et solo, au sein d'une formation acoustique qui a fait le choix, la plupart du temps, de conserver les hiérarchies et les fonctions traditionnelles, et dans laquelle il se submerge. Pluta sait constamment alterner entre le développement et l'approfondissement de l'improvisation collective, la figuration ou la fonction de soliste dans un concert pour orchestre de jazz et électronique. Son humour ainsi que son détachement et son exubérance permettent d'esquiver l'éventuelle fadeur d'une relecture.
Ceci dit, l'écriture d'Evans reste tout de même l'élément le plus créatif et le plus singulier. Car les compositions d'Evans ont bien conservé l'esprit des genres exploités tout en permettant à chacun des musiciens de s'exprimer de manière personnelle et créative, la plupart des structures formelles est maintenue et le quintet n'éclate pas les formes mais les intègre et les dépasse ou les grignote parfois légèrement et sensiblement, parfois de manière ostentatoire et ironique. L'écriture et les formes d'improvisation laissent une place vraiment conséquente au développement des potentialités de chacun, autant dans "l'interprétation" des partitions aux rythmiques parfois ultra-rigoureuses et complexes, que dans la réactivité, l'écoute et l'entente à l'œuvre dans les improvisations.
Après, on reprochera peut-être à Evans de s'embourber dans une forme fade de free jazz mainstream qui instrumentalise plus qu'il n'intègre des musiques plus populaires et plus accessibles, ceci à des seules fins commerciales. Car oui, Ghosts est bien un album de free jazz électroacoustique, mais il est étonnamment accessible puisqu'il conserve de nombreux codes, signes et formes connus de tous et utilisés depuis des décennies. J'ai beau être perplexe devant cette musique faite de compromis et exempte de radicalité, il faut quand même avouer que les compositions d'Evans sont d'une richesse inouïe, et qu'on se laisse très facilement emporter dans cette entreprise virtuose de relecture de la musique populaire du 20e siècle.
Tracklist: 01-... One to ninety two / 02-323 / 03-Ghost / 04-The big crunch / 05-Chorales / 06-Articulation / 07-Stardust