Thymolphthalein - Ni maître, Ni marteau (Mego, 2011)


Natasha Anderson: contrabass recorder & electronics
Will Guthrie: percussion & electronics
Jérôme Noetinger: tape machine & electronics
Clayton Thomas: double bass & preparations
Anthony Pateras: prepared piano & analogue synthesizer

Ni maître, Ni marteau est le premier enregistrement du quintet franco-australien formé en 2009 par Anthony Pateras. Si le titre de ce vinyle paru aux éditions Mego peut faire penser à un quelconque pamphlet anarcho-insurrectionnaliste, refusant tout compromis avec le capitalisme tout comme avec le communisme et la gauche légalistes, la musique de Pateras, quant à elle, n'essaye pas de se démarquer en refusant obstinément tout compromis et toute influence. Au contraire, de nombreuses sources musicales se font entendre ici et là: musique électroacoustique et concrète d'une part, musique improvisée d'autre part, mais également les scènes réductionniste et onkyo, le minimalisme et John Cage, puis la noise dans tous ses états, sans oublier tout ce qui est extérieur au domaine expérimental et avant-gardiste, comme le gamelan, le dub, et bien sûr, le jazz. Ces sources sont apportées par chacun pris individuellement mais sont assimilées collectivement, elles s'intègrent à une écriture précise et se fondent dans des modes de jeux et une instrumentation hétéroclites.

La composition des pièces accorde une grande place à l'équilibre, à la symbiose et à l'expression individuelle. Il y a bien un son collectif, mais pas monolithique, chacun apporte son timbre et sa fonction (rythme, texture, énergie, harmonique), de manière personnelle mais subordonnée à une volonté et une intention collectives. Si la formation est assez large et comporte une instrumentation qui peut facilement devenir imposante et bruyante, l'équilibre est assuré par le retrait permanent d'un ou plusieurs membres du quintet, ainsi que par la place accordé quelque fois au silence ou à des modes de jeux discrets, par le peu d'entrelacement des voix ou encore par les oppositions et les confrontations entre un duo et un trio (et autres combinaisons). Mais l'équilibre n'est pas seulement assuré entre les instrumentistes, il est également présent dans les différents niveaux d'intensité et d'énergie qui peuvent atteindre une violence et une virulence extrêmement agressive autant qu'une délicatesse tendue où la moindre intervention semble épiphanique et résonne éternellement. Ainsi, de nombreuses combinaisons (instrumentales, spatiales, timbrales ou énergiques) sont utilisées méthodiquement afin de ne jamais tomber dans un maelström sonore gratuit et incompréhensible.

Thymolphthalein n'a pas peur des paradoxes et on peut même dire qu'il les cultive: une musique aussi binaire qu'arythmique, aussi harmonique que tonale, aussi méditative et introspective qu'exutoire et violente, aussi mutique que volubile. Qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce une tentative d'actualiser musicalement la dialectique marxiste? Car on a l'impression que le processus de création est l'aboutissement de la négation de la musique populaire par l'avant-garde, de quoi résulte une musique populaire expérimentale (ce qu'Adorno n'a pas soupçonné, soit dit en passant). Et c'est certainement le plus grand mérite de ces compositions: avoir su dépasser et intégrer l'éternelle opposition (académique) entre musique populaire et musique savante (ou expérimentale devrais-je plutôt dire ici). Cette réussite se traduit par une écriture aussi collective que l'interprétation est personnalisée, par une musique aussi aventureuse et créative qu'accessible et agréable. Thymolphthalein interprète de manière précise, sans être froide et insensible, des intentions claires, logiques et structurées d'une manière parfaitement équilibrée dans chaque opposition (contradiction) musicale. Hautement recommandé!

FACE A:01-Meta-Tingue / 02-Soaked George / 03-Off The Wall / 04-Mosquito Squash  / 05-L.B.O.K / 06-Streetcar Slugfuck/ 07-Ayala
FACE B: 01-Jean Psycho / 02-Quince / 03-Lips / 04-Pierre Willy / 05-Greatest Hits / 06-Pim