Andrea Neumann / Bonnie Jones - green just as I could see (Erstwhile, 2012)

Chez Erstwhile, les pochettes de Yuko Zama sont souvent simples, mais étonnantes et surprenantes. Et voilà qui correspond plutôt bien à la musique de ce duo. Une musique simple, sensible et délicate, mais hors du commun, à côté de tout, une musique inattendue et inespérée. D'un côté, Andrea Neumann, plongée à l'intérieur du piano ou surmontant une table de mixage. De l'autre, Bonnie Jones, manipulant des courants électroniques. Deux musiciennes fantastiques et hors-normes, pour un duo simple et dense à la fois.

"3n1m4n", première pièce d'une série de quatre qui semblent en grande parties improvisées, joue énormément sur les bugs et les répétitions. Une pièce obstinée, insistante, et lo-fi, qui navigue entre larsens, circuit bending, et triturations de cordes. Comme durant tout le disque, les textures échappent à la description, on se laisse plus envouter qu'on ne cherche à comprendre qui fait quoi et comment. Ça crépite, ça grésille, ça s'arrête, brusquement, lentement, ça accélère, ça crispe. C'est toute une histoire, avec sa propre logique narrative.

Il n'y a qu'à écouter "Belle Reed", seconde pièce pièce de ce disque et aussi la plus longue (18 minutes).  Le voyage est épique et sous-terrain. Neumann et Jones nous plongent dans les entrailles du piano, mais également dans les profondeurs de l'électricité. Un timbre qui semble artisanal, avec ses radios, ses bruits blancs, ses drôles d'arpèges, qui a une importance considérable mais qui s'efface derrière l'aspect initiatique de cette pièce. On est plus concentré sur la couleur que va prendre le son que sur la couleur qu'il a actuellement. L'important, dans ce duo, c'est plus ce qui va arriver que ce qui arrive. Chaque seconde est un plongeon vers l'inconnu, il semble impossible de préméditer ce qui va se passer: ici réside toute la force de ce duo.

Les deux dernières pièces, "Seriatim" et "As My Memory Turned" sont également construites selon ce principe. Deux pistes continues, qui ne s'arrêtent jamais, sans ruptures, mais qui nous amènent toujours vers l'inespéré et l'inattendu, sans faire dans l'inouï. La surprise réside toujours plus dans l'enchainement que dans la texture elle-même. Des pièces construites dans une volonté apparente de surprendre, autant par la construction que par l'assemblage et la superposition. Car Neumann et Jones s'amusent souvent à superposer des objets sonores de manière incongrue, telle une berceuse par-dessus du bruit blanc par exemple. On trouve de nombreux jeux d'oppositions qui renforcent chacune des musiciennes durant ces quarante minutes aux textures simples mais pleines de détails surprenants et d'assemblages inattendus. Jamais un grésillement et un larsen ne m'auront paru aussi beaux et poétiques, car Neumann et Jones parviennent à les intégrer dans une structure narrative et sensible. Elles réussissent par des moyens aux allures parfois rudimentaires à créer un voyage hors du commun et toujours surprenant. Un voyage électroacoustique hallucinant et dense, riche de détails, clair, et exceptionnellement étonnant.

Un album qui mérite vraiment d'être écouté, un album dont on ne se lasse pas et qui se redécouvre à chaque écoute: je ne peux que vivement le recommander.