Éric Normand 5 - Sur un fil (Setola di Maiale, 2012)

Autre disque en provenance de Rimouski, Sur un fil est un projet entre free jazz, jazz moderne et musique contemporaine, qui réunit cinq musiciens autour des compositions d’Éric Normand. On y retrouve les instrumentistes Jean Derome (flûte, saxophone alto, appeau), James Darling (violoncelle), Antoine Létourneau-Berger (vibraphone, cymbales), Michel F. Côté (batterie, larsens), et Éric Normand lui-même à la basse électrique.

La première pièce est une suite de longues notes qui entrent et sortent les unes après les autres pour former de longs accords harmonieux et des textures calmes et particulières. Une belle pièce de quinze minutes où le quintet forme des aplats de couleurs variées, des couleurs au spectre très large étant donné la diversité et l'hétérogénéité des instruments présents (on peut en effet retrouver toutes les grandes familles instrumentales ainsi que presque toutes leurs sous-variétés). Ce n'est qu'aux environs d'une dizaine de minutes que les notes se raccourcissent jusqu'à un mode de jeu pointilliste, et que des silences apparaissent, au profit d'une texture éclatée et plus axée sur les reliefs et les variations d'intensité. Comme sur le reste de l'album, on peine à savoir ce qui est écrit et ce qui est improvisé, ainsi que les techniques d'écritures employées par Éric Normand (indique-t-il les durées? les hauteurs? les rythmes? etc.). Ce n'est que sur la deuxième pièce que l'on peut commencer à s'assurer qu'il s'agit bien d'improvisation: une improvisation libre encore éclatée, mais bien aérée, où l'écoute et l'attention semblent très intenses. Encore une fois, beaucoup de reliefs et de couleurs jusqu'à un climax chaotique d'improvisation collective. 

Après cette première moitié pas forcément passionnante viennent donc encore deux pièces beaucoup plus puissantes. La seule qui ne soit pas composée par Éric Normand, "Fields, Cows and Flowers" de John Tchicaï, est un grand jeu de questions-réponses et d'échos interminables entre tous les instruments, sans véritable distinction hiérarchique et/ou fonctionnelle. L'écoute est toujours très attentive et le quintet trouve un équilibre assez juste entre l'écriture, l'interprétation et l'improvisation, en faisant se succéder différents tableaux de lectures et d'interprétations rigoureuses, de solos, d'improvisations collectives libres ou dirigées. A mon avis, cette troisième pièce est celle qui intègre le mieux l'écriture grâce à cet équilibre entre des approches musicales qui peuvent être opposées, sans compter que cet équilibre se retrouve aussi au niveau des couleurs, des modes de jeu et des instruments. "Sur deux chaises", la quatrième et dernière pièce, offre encore moins de possibilités de déterminer les passages écrits ou non. Mais qu'importe, car avant tout, ce final est une question d'énergie. Les larsens apparaissent clairement, la basse est saturée, il y a de la distorsion, le vent de Delorme souffle souvent fort, et le plus surprenant, c'est que cette pièce est toujours aussi aérée. L'espace laissé ne fait que renforcer la puissante tension de ce dialogue nerveux et d'apparence plus spontanée.

Je ne suis pas particulièrement sensible aux compositions de Normand pour cet album, mais la précision et l'attention dont font preuves chaque musicien valent la peine d'être relevées. Car au-delà de l'écriture en elle-même, les interprétations et les improvisations de chacun, talentueuses, belles, singulières, et créatives, font de cette suite un disque agréable à écouter pour sa singularité et son inventivité, mais également pour son intensité (plus particulièrement sur la deuxième moitié).