michael pisaro/toshiya tsunoda - crosshatches (erstwhile, 2012)

Pisaro n'en finira décidément jamais de me surprendre. Je ne sais pas si c'est dû à la présence de Toshiya Tsunoda, musicien que je n'avais encore jamais entendu auparavant, mais cette longue pièce de plus de 80 minutes ne ressemble à rien de ce que j'avais déjà pu entendre de Pisaro. Sur la pochette et à l'intérieur du coffret, aucune indication d'instrument ou de quoique ce soit, difficile donc de juger qui joue, ou qui a composé quoi. On sait seulement que ce double disque est divisé en deux parties de quatre sections chacune. Effet du hasard ou fétichisme? pour l’anecdote, le premier disque est divisé en 4 pistes d'une durée de 44 minutes et 44 secondes...

Qu'est-ce qu'on entend sur crosshatches? Des field-recordings et des sinusoïdes avant tout. Mais également une guitare sur la première piste et du piano sur la dernière. Il s'agit de sections très linéaires, de longues plages de sons monotones, du vent, une rivière, un moteur, une fontaine, des sortes de nappes augmentées et enrichies par des sinusoïdes qui reprennent des fréquences déjà présentes sur les field-recordings. La virtualité des sinusoïdes (en tant qu'elles sont le produit d'une synthèse digitale) se mélange à la "naturalité" des enregistrements, sons numériques et réels dialoguent et s'enrichissent dans une fusion étonnante. Les textures crées sont profondes, Pisaro et Tsunoda s'appliquent à explorer avec minutie une caractéristique du son, une immersion systématique et méticuleuse d'un seul paramètre sonore durant de longues minutes souvent.

Ceci-dit, on a parfois du mal à comprendre pourquoi une nappe prend fin, et surtout pourquoi telle autre lui succède. La forme de ces sections me paraît floue et opaque, et en même temps, elle paraît plutôt intuitive. Les tableaux sonores se succèdent de manière linéaire malgré de brusques interruptions, comme un film qui déroulerait une série de scènes à travers le même fil narratif mais sans utiliser forcément les mêmes thèmes, ou les mêmes couleurs. Tout de même, malgré l'opacité de la forme, on s'accroche à la puissance d'évocation des sons, car à travers chaque vague de sons un univers nouveau se forme, et on a toujours envie de savoir comment il est produit, quelle est sa source, qu'est-ce qui est naturel, qu'est-ce qui est artificiel. En elles-mêmes, ces hachures ("crosshatches") où le réel (à travers les enregistrements) se mêle à l'imaginaire et au possible (sinusoïdes) sont difficiles d'écoute, et demandent beaucoup de disponibilité, le terrain est aride et pas nécessairement agréable, mais Pisaro et Tsunoda parviennent malgré tout à tenir l'auditeur en haleine grâce à des questionnements et des attentes.

Je dois dire que j'étais assez indifférent à la première écoute, et c'est au fil des réécoutes que le caractère magique de cet échange m'est apparu, la magie de fusionner des sources réelles et imaginaires, mais également la magie de certaines sources sonores en elles-mêmes, d'autant plus que le duo parvient à constamment révéler les moindres détails et les moindres propriétés merveilleuses de chaque son enregistré. La durée du disque ne facilite pas la possibilité de l'accepter tel quel. On a du mal à rester disponible pendant presque une heure et demie. Mais parfois, on écoute crosshatches comme un film, un long film qui saurait capter l'aspect merveilleux et magique du son, un film qui nous plongerait au cœur de la matière sonore, quelle soit réelle ou imaginée, et au cœur de la fusion des deux.