KESTEN&TRAYLE / KREBS - F23M-12: Field with figures / rush! (Another Timbre, 2014) |
La première partie de ce split CD est intitulée F23M-12: Field with figures et il s'agit d'une suite de quatre pièces par les deux musiciens expérimentaux Kesten & Trayle. Une suite très sobre et épurée qui est loin des clichés de la noise et de la musique improvisée. Avec des instruments très différents, Kesten & Trayle fabriquent des nappes assez homogènes : bruits blancs discrets avec souffle humain, notes tenues à la voix et drone au synthé analogique, légers bruits de lèvres contre larsens discrets. Tout se fait dans la douceur, dans la sobriété, il n'est pas question de textures ou de techniques remarquables, ni de formes très développées, il n'est pas question de drone non plus, mais le duo avance progressivement en accordant toute son attention sur l'écoute et l'interaction entre les deux médiums (électronique et cordes vocales). Le duo avance sur des territoires abrasifs et détendus, proches du silence et du bruit blanc. Ce qui ressort, c'est une étonnante homogénéité, mais aussi, et c'est le plus frustrant, c'est la gestuelle et le corps des musiciens qui ont l'air importants et qu'on a du mal à clairement distinguer. Quatre pièces qui donnent envie de s'intéresser à ces musiciens, mais surtout de les voir en action.
La seconde partie de ce split est donc un solo d'Annette Krebs intitulé rush! Il s'agit de deux versions d'une même pièce où sont utilisés une guitare électroacoustique (préparée), des bandes et de l'électronique, le tout assemblé par ordinateur. Je n'avais pas entendu de disque aussi singulier depuis bien longtemps à vrai dire. Singulier et déroutant, un peu à la manière de Marc Baron (auquel j'ai beaucoup pensé en écoutant cette pièce de Krebs). rush! est vraiment déroutante car c'est typiquement le genre de pièce dont on se doute qu'elle est écrite avec beaucoup de précision, que chaque élément répond à un questionnement, et pourtant on n'arrive pas vraiment à saisir ni la forme ni le sens. A chaque écoute, j'étais pris dans des sentiments ambivalents : ça me fascine et je ne comprends pas, et je ne sais pas si ça me fascine parce que je ne comprends pas ou si je ne comprends simplement pas pourquoi ça me fascine.
Quoiqu'il en soit, Anne Krebs propose avec rush! une pièce d'environ un quart d'heure qui se démarque par son atmosphère très particulière et non-musicale. Les deux versions sont enregistrées en studio, les interventions sonores (plus que musicales) sont très brèves et minimales et sont séparées par de longs silences. Les sons sont limités à des interventions d'une seconde - un mot, une note, un bruit, un autre mot d'une autre voix d'une autre langue, un bruit - et sont très espacés dans le temps. Ils forment comme des entailles dans le silence, comme une sculpture ultra minimaliste. La différence entre les deux versions tient au fait que Krebs sculpte soit un silence numérique (version numéro 2, l'originale) soit dans des sons extérieurs enregistrés sur bande (une sorte de field recording volontairement mal capturé, une pure ambiance sonore urbaine et citadine avec traffic routier et cris de bébés). Dans les deux versions, les interventions surprennent toujours par leur brièveté, par leur surgissement inattendu, et par le fait qu'elles paraissent finalement beaucoup moins intéressantes qu'un silence digital ou un bruit de fonds qui pourrait être considéré comme gênant.
Annette Krebs sort des dogmes, des idiomes, et des clichés avec une composition électroacoustique vraiment singulière, belle, et remarquable. Vivement conseillé.