MIMEO - Wigry (Monotype/Bôlt, 2011)


Phil Durrant: synthétiseur digital, sampler
Christian Fennesz: ordinateur
Cor Fuhler: piano
Thomas Lehn: synthétiseur analogique
Kaffe Matthews: ordinateur
Gert-Jan Prins: électronique
Peter Rehberg: ordinateur
Keith Rowe: guitare préparée
Marcus Schmickler: ordinateur
Rafael Toral: ordinateur


Imaginez le truc, dix monstres de l’improvisation qui naviguent entre EAI, avant-garde et free jazz se sont réunis dans une sombre église un soir pour un long concert radical et intense, armés d’ordinateurs, de synthétiseurs, de piano et de guitare. Ce seront les labels polonais Monotype et Bôlt qui auront le courage de publier cette incroyable performance sur un double vinyle. 

Sur ces quatre faces, les ambiances varient, entre improvisation saturnienne, larsens, noise, réductionnisme et EAI. Mais toujours, il y a cet aspect cosmique, extraterrestre, les structures composées par cet ensemble MIMEO nous entrainent dans des contrées lointaines et inouïes où les mouvements vitaux paraissent incompréhensibles du fait de leur radicale différence. Une vie résolument autre, mais toujours mouvante, jamais figée, malgré le déploiement et la superposition de longues nappes et de grandes strates. Music In Movement Electronic Orchestra, jamais un orchestre n’aura aussi bien porté son nom je crois (hormis ceux de Sun Ra et d’Alan Silva peut-être) : pour Wigry, cet ensemble s’immerge dans un espace sonore extrêmement massif certes, mais où chaque couche peut jouir de sa propre évolution indépendamment des autres, tout en restant constamment à l’écoute des interactions. Une attention extrême et radicale pour créer une succession d’espaces sonores différents, mobiles et mouvants, Wigry est un voyage à travers de nombreuses configurations spatiales, où la spatialisation du son ne cesse de changer de forme et de structure. Et c’est cette succession de configurations spatiales toujours différentes qui peut donner cette impression/sensation de voyage cosmique, de traversée galactique à travers différentes planètes et univers qui possèdent leurs propres esthétiques, leurs propres règles/normes, ainsi que leurs propres sensibilités.

Sur plus d’une heure de concert, nous avons droit à des espaces sonores et mentaux apparemment sans rapports rationnels, mais qui s’enchainent et se succèdent néanmoins avec un naturel déconcertant. Car la musique colle réellement à la personnalité du groupe qui la compose et ne fait que traduire le vécu collectif de cette performance réflexive. MIMEO traduit des sentiments ressentis lors de l’interprétation et de l’improvisation en musique, malgré l’aspect paradoxal que ces sentiments naissent eux-mêmes de la musique. La circularité est parfaite et chacun se voit obligé de s’immerger dans un espace éternel, dans un temps cyclique infini, où musiques et sentiments s’enchainent, se succèdent, s’imbriquent, se déploient, et se font mutuellement surgir l’un l’autre. Malheureusement, le temps social est là, et il se matérialise par la fin de la performance, le retour à cette réalité sociale où l’humanité n’est pas encore possible. Seulement, MIMEO a ouvert une brèche, une faille a surgie à travers la dialectique communautaire de notre orchestre : un temps et un espace calqués sur la véritable conscience est possible, dimensions qui permettent un épanouissement total de l’humanité. Car si l’espace et le temps ne sont plus sociaux, mais humains et vécus tels quels par la conscience, il y a une réappropriation possible immédiate des rapports entre les hommes, donc la création d’une nouvelle humanité. (Je vais peut-être m’arrêter là pour ces délires philosophico-utopistes...).

Un ensemble de textures radicales donc, crées par un ensemble de musiciens extrêmement concentrés et attentionnés, qui savent quand jouer et quoi, qui savent quand s’arrêter, quand écouter, et quand se concentrer uniquement sur son jeu sans se soucier des autres. Une performance pas aussi sombre et froide que ne laisse apparaître la couverture du vinyle, qui a plutôt tendance à explorer des territoires chauds et vivants contrairement aux « couleurs » et au caractère trop géométrique et rationnel de cette église. MIMEO évolue plutôt dans des contrées au-delà des lignes et des angles, au-delà de la géométrie et de la raison, pour être au plus près du vécu émotionnel et spontané des musiciens, une recherche qui tend plus vers le kaïros que vers l’universel. J’ai envie de dire que Wigry est fantastique (l’influence de la pochette certainement...), mais en étant pointilleux, je me rends bien compte qu’il n’y a pas vraiment de cadre rationnel auquel on pourrait se rattacher, n’ayons pas peur des mots et soyons juste donc, Wigry est tout simplement merveilleux. Merveilleux dans tous les sens du terme : un album radicalement surnaturel, excessivement beau, où chaque mouvement est inattendu et inouï, un album magique dans son aspect cosmique. C’est regrettable, il n’y a qu’une édition vinyle (mauvaise influence des mélomanes fétichistes?), et pourtant, c’est vraiment un album à écouter absolument, qui vaudrait presque l’achat d’une platine...