Edén Carrasco: saxophone, tuyaux, cloches, idée, production
Nicolás Carrasco: violon, objets, production, mixage
Méconnus, Edén et Nicolás Carrasco sont deux jeunes musiciens résidant à Santiago de Chile. Principalement axés sur l’improvisation libre ou électroacoustique, ils ont collaboré quelque fois avec Tatsuya Nakatani, Günter Müller ou encore Christof Kurzmann, ainsi qu’avec de nombreux musiciens locaux moins renommés. Pour ce disque publié par L’Innomable, les deux chiliens explorent un territoire composé de field-recordings imposants et d’improvisations acoustiques instrumentales ou bruitistes.
Le fond de la première pièce a quelque chose de festif et d’inquiétant, de machinal et de vivant, car il s’agit d’enregistrements tirés d’une fête foraine, avec ses cris, ses musiques (beats de rap, techno) et son ambiance particulière de terreurs enfantines. A cette ambiance étrange se surajoute alors des objets étranges, des bouts de métal s’entrechoquent, une tige frappe du fer telle un marteau-piqueur. L’espace sonore est déjà surchargé, envahissant, et les No Hermanos Carrasco tentent d’aérer ce terrain par la médiation d’interventions instrumentales : techniques étendues au saxophone et au violon qui créent de courtes nappes étranges se répondant les unes après les autres, de brèves interventions simultanées comme permises lorsque la fête se fait moins présente, des objets industriels, des souffles dans des tuyaux, etc. Mais ne vous y laissez pas méprendre, il ne s’agit pas d’une composition de plus par superpositions de strates, il y a quelque chose de monolithique, voire de mégalithique, dans la masse sonore de ce disque, les No Hermanos Carracos se fondent complètement dans les field-recordings et leurs interventions musicales se noient dans la festivité chaleureuse de ces enregistrements. De bout en bout, les instruments ne se démarquent pas des bandes sonores et s’ancrent dans cette reproduction, ce qui donne une musique massive, intense, entre musique concrète et improvisation libre de caractère froid et austère. Une masse de 30 minutes environ, qui s’arrête malheureusement aussi brutalement qu’elle démarre, ce qui peut donner comme un sentiment de frustration et d’inachèvement.
Quant à la seconde pièce, qui succède à un silence numérique de 2 minutes, elle se joue sur des enregistrements plus hétéroclites d’une part (canards, pigeons, sirènes, musiques et bruits urbains), mais surtout plus aérés et espacés. Il y a dès lors beaucoup plus de place pour mieux apprécier le talent instrumental de ces deux musiciens qui ont déjà su faire preuve d’une faculté d’écoute remarquable face à l’environnement sonore dans lequel ils s’immergent. Flatterzunge, archets sur la touche ou le chevalet, double cordes, avec le bois ou le crin, harmoniques, etc., toutes ces techniques de jeu se répondent et s’imbriquent dans un jeu d’immersion avec les enregistrements, jeu d’immersion et d’équilibre où l’environnement atteint un équilibre digne des plus grandes utopies spiritualistes orientales. Les contraires s’opposent et se côtoient, de l’électronique à l’acoustique bien évidemment, en passant par la nature et la ville, les techniques de jeu traditionnelles et étendues, l’abstraction et la musicalité, l’art et l’artisanat, le silence et le bruit, le vide et le plein; la vie de cette musique est d'un équilibre absolu tout en étant contrastée: une véritable utopie.
Deux compositions où se mélangent spontanéité, virtuosité instrumentale, talent technologique de production, d’enregistrement et de mixage. Deux pièces intenses et très originales, pleines d’espoir dans la mesure où elles semblent explorer un territoire qui s’avère franchement fertile. No Hermanos Carracos s’aventurent sur un terrain extrêmement bien maitrisé où les contrastes s’équilibrent et se solidarisent de manière juste, chacun de manière intense et puissante, profonde et féconde.
Tracklist: 01-1 / 02-[silencio] / 03-2