Henrik Wallin & Sven-Åke Johansson - 1974-2004 (Umlaut, 2011)


Presque 6 ans après la mort du pianiste Per Henrik Wallin en 2005, le label franco-suédois Umlaut publie un coffret de quatre CD réunissant quelques collaborations avec le légendaire batteur Sven-Åke Johansson. Le premier disque est un enregistrement de 2004 en compagnie du contrebassiste Joe Williamson, tandis que les trois autres réunissent des enregistrements de Wallin & SÅJ  en duo seulement, l'un datant de 1974-75, et l'autre de 1986.

La première chose qui m'a frappé dans ces enregistrements est certainement la cohésion de ce duo de longue date, l'aspect presque intemporel de cette collaboration qui s'étend sur plusieurs décennies pourtant. Difficile de juger quel disque date de quand, l'évolution est présente mais pas très marquante. D'ailleurs, il faudrait peut-être plus parler d'affirmation que d'évolution. Car Wallin&SÅJ évolue sur le même terrain, un terrain extrêmement marqué par le musique improvisée allemande (scène déjà marquée par la participation très active de SÅJ aux côtés de Brötzmann notamment), mais également par le jazz américain, le boogie-woogie et de nombreuses musiques populaires. Si dès le départ, l'accordéon et les chants de SÅJ sont présents, c'est surtout la passion et les citations de Wallin que l'on remarque de plus en plus fréquemment, notamment sur l'enregistrement de 86 où l'on jurerait entendre le célèbre "Now's the time" de Charlie Parker. Mais c'est également Art Tatum qui ressort régulièrement, et ce dès 1974, des multiples phrases et progressions qui se croisent sur plusieurs étages, ainsi que Thelonious Monk dans les progressions chromatiques et l'utilisation rythmique et percussive du piano. Mais la plupart du temps, il s'agit bien de free jazz, d'un duo (ou d'un trio) qui évolue sur un terrain saturé, puissant, où clusters et polyrythmies se superposent, où les crescendos sont omniprésents, où il s'agit de jouer fort et de transmettre une énergie puissante, véhémente. 

Mais au-delà de cet aspect violent et incendiaire, les personnalités de chacun parviennent à s'affirmer lors de nombreuses pauses et de quelques répits. Aux percussions, rythmiques ternaires, dansantes, enivrantes, ou porteuses, dialoguent avec des progressions harmoniques et mélodiques inattendues, des bribes de phrases et des grilles joyeuses au piano. A quelques moments, Wallin&SÅJ esquissent également quelques tentatives d'exploration de la matière sonore, à travers le dialogue entre l'accordéon (instrument complètement hors norme à cette époque) et les cordes du piano, mais également avec une utilisation parfois atypique des instruments, ou à travers des discours contradictoires: mélodiques au piano par exemple, tandis que SÅJ, au lieu de soutenir Wallin comme on pourrait s'y attendre, produit un flot arythmique et oppressant de percussions inopinées.

Je dois avouer que, généralement, j'ai quand même beaucoup de mal à apprécier les duos piano/batterie, notamment lorsqu'il s'agit de free jazz, parce qu'ils me paraissent souvent trop saturés et oppressants. Mais là, les nombreuses références et citations, souvent gaies et joyeuses, dansantes et enivrantes, permettent d'aérer ces longues improvisations, de redonner de la vie plus que de l'énergie à cette musique qui reste malgré tout énergique et puissante. ce qui donne un étonnant voyage en terre d'improvisation marquée aussi bien par Cecil Taylor et le be-bop, que par la chanson populaire et le boogie-woogie. De beaux enregistrements et une belle initiative pour cet hommage vibrant au regretté et virtuose Per Henrik Wallin.