Antoine Beuger - sixteen stanzas on stillness and music unheard

ANTOINE BEUGER - sixteen stanzas on stillness and music unheard (L'innomable, 2013)
2013 est une année bien riche pour les fans d'Antoine Beuger, qui s'est vu publié par les labels potlatch, another timbre, erstwhile et l'innomable. Ce dernier label vient en effet d'éditer les sixteen stanzas on stillness and music unheard, une pièce composée il y a dix ans et interprétée par Greg Stuart, percussionniste américain qui a plusieurs fois collaboré avec Pisaro, et fait partie de mes interprètes favoris des oeuvres du collectif Wandelweiser, si ce n'est mon préféré - aux côtés de Radu Malfatti, Angharad Davies et Pisaro dans une certaine mesure. Toutes les collaborations entre Pisaro et Stuart sont par ailleurs à recommander à quiconque souhaiterait découvrir le percussionniste : de July Moutain à la série hearing metal

Mais bref, ici, il s'agit de la réalisation (remarquable toujours) d'une pièce de Beuger, et non de Pisaro. Il s'agit de seize strophes d'environ quatre minutes séparées par d'assez courts silences. Sur chaque strophe, Greg Stuart utilise un archet sur des lamelles de vibraphone, le son est très faible au départ, augmente au fil des huit premières strophes, et s'affaiblit durant la seconde moitié du disque. Le changement de volume est très précis et minutieux, on ne le perçoit que progressivement, et on s'étonne vite de la finesse et de la précision accordées à ce volume, au crescendo comme au decrescendo imperceptibles. En fait, toute la réalisation surprend : la pureté du son et des harmoniques nettement séparées, la sensation de glissement imperceptible entre le son et le silence due à la finesse de l'attaque, à la douceur du frottement et à l'absence de coupure volontaire du son. Greg Stuart propose une réalisation complètement onirique et cristalline, où la durée, malgré la répétition de cellules, n'a plus lieu, où le temps redevient spatial : une interprétation d'une précision et d'une finesse ahurissantes en somme.

J'imagine que la partition de Beuger comporte des indications temporelles précises, ainsi que les crescendo et decrescendo, et l'accent doit également être mis sur le glissement du son dans le silence, ou du silence dans le son. Je me demande par contre si elle contient des indications quant à la nature du son, si particulier dans cette version où la technique et l'instrument sont riches et atypiques. Pour cette réalisation, plus le son est fort, plus il est riche d'harmoniques ; volume, densité et richesse suivent le même mouvement. Un mouvement naturel. Toute la pièce semble d'ailleurs très naturelle. Les strophes, les silences et les notes ne sont ni longues ni courtes, le volume est assez faible mais pas trop, les notes sont pures et les harmoniques ont quelque chose de céleste, toute tension est également absente. Un pur moment de calme et de beauté, où la contemplation du son et du silence ne s'opposent plus. Réalité et temporalité sont mis en parenthèses durant ces 73 minutes de poésie harmonique détendue et méditative. Vivement conseillé.

(Si Greg Stuart est un musicien extrêmement minutieux et précis, la pureté du son, sa richesse et ses couleurs éclatantes sont également dues à la qualité de l'enregistrement et du mastering de Joe Panzner, une qualité irréprochable pour un rendu maximal.)