AMM, réduit aujourd'hui au duo John Tilbury (piano) et Eddie Prévost (percussions): groupe phare de l'improvisation anglaise, et plus largement de l'improvisation libre européenne. Bien sûr, il y a eu du changement depuis le départ de Keith Rowe, mais à chaque sortie, on en attend encore beaucoup de ce groupe - qu'il soit réduit à ce duo ou accompagné de grands musiciens comme John Butcher.
Et une fois de plus, AMM ne déçoit pas. En deux improvisations enregistrées en live, le duo Tilbury/Prévost propose deux pièces uniques et singulières. Tout commence avec un gros cluster répété après de longues résonances telles que Tilbury sait les affectionner. Très vite, Prévost sort l'archet, et le glisse sur ses cymbales et ses gongs - un archet qu'il ne quittera presque jamais durant ces 70 minutes de musique. Tout du long, on entendra souvent des phrases répétées aux allures feldmaniennes, phrases sans début ni fin qui ne seront jamais résolues, ainsi que de longues harmoniques éthérées et lisses provenant aussi bien de cordes, de peaux, que de cymbales et de gongs.
De son côté, Tilbury peut jouer sur des clusters qui mettent principalement en avant les timbres du piano, mais il peut tout aussi bien répéter à l'envie des accords harmonieux ou légèrement dissonants et se soucier des couleurs tonales de son instrument, tout en accordant toujours une place primordiale au silence d'une part, mais surtout aux harmoniques qui émergent des résonances. Car avec Tilbury, quand le marteau frappe la corde, il n'est là que pour la percuter, il lui laisse ensuite le temps de se développer d'elle-même dans la caisse de résonance puis dans la salle.
Il n'y a pas réellement de relation de réactivité entre les interventions de chaque musicien, même s'il y a bien une phénomène d'écoute et d'interaction omniprésent, ce n'est pas dans le sens d'une réactivité par analogie ou par empathie. Chacun des musiciens avance sur sa propre voie qu'il ne détourne jamais au profit d'imiter ou de se confondre avec celle de l'autre. Il y a bien deux couleurs différentes, deux individualités, et un espace de représentation surtout. Chacun interagit plus avec l'espace qu'avec son partenaire, et il s'ensuit une osmose quand même, malgré les différences de couleurs entre chacun. D'où certainement l'importance accordée au silence et aux résonances de chacun, car c'est dans l'habitation sonore de cet espace que les musiciens se rejoignent le plus et parviennent à produire une musique intimiste et sensible, fusionnelle - tout en se démarquant constamment l'un de l'autre.
Une musique calme et lisse, minimaliste et riche en couleurs. AMM investit un espace sonore pour le transformer via une méthode d'improvisation singulière en un espace intime et poétique, d'une précision et d'une sensibilité exceptionnelles. Recommandé.