Barry Weisblat/Alfredo Costa Monteiro/Ernesto Rodrigues - Diafon (Creatives Sources, 2005)
C'était il y a sept ans quand même. Depuis, on n'a pas trop entendu parler de Weisblat (ici à l'électronique), mais Alfredo (platines) et Ernesto (violon alto, micro-contacts et objets) ne se sont pas arrêtés. Au contraire. Sur Diafon, ils nous emmenaient tous les trois le long d'une courte piste de 35 minutes. Une piste aride, abrasive, et onirique. Monteiro et Rodrigues jouent beaucoup avec les micro-contacts, le son est avant tout d'origine physique, ça gratte, ça frotte, ça crépite, le son est matière. L'alto est traité de la même manière, ses brèves incursions ne sont jamais des notes, mais la sonorisation et l'amplification de sa matière, la percussion du bois ou le frottement dur et sec des cordes. Une musique rendue encore plus abstraite et aride par l'accompagnement de Barry Weisblat, lequel surenchère avec des bruits blancs légers, harsh subtil qui se fond dans la matière sonore. L'utilisation systématique et abondante de platines sans disque relève également de cette volonté de créer du son avec la matière seule. De confondre le son et la matière. Que le bruit devienne véritablement physique, et qu'il le devienne avec sa source. Le trio sculpte le son et l'espace sonore avant tout. Les notions de rythme, de pulsation, d'harmonie, de dynamique, etc. n'ont pas cours ici. Il ne s'agit que de son, de timbre et de texture. Des textures agencées avec sensibilité et délicatesse, avec virtuosité et créativité. Un exercice de réduction de la musique à sa plus pure dimension sonore? Pas tout à fait, car le temps, et son étirement en une longue nappe sans fin ni début, est toujours là. Dimension incontournable de l'art sonore, la temporalité est ici lisse et sous-jacente, subtile et discrète, un long fil ténu qui s'étire durant 35 minutes avant de craquer imperceptiblement et brutalement. Fin? Pas tout à fait non plus, car Diafon demande à être réécouté, à être rejoué pour en saisir à chaque de nouvelles subtilités, et surtout, pour maintenir le plaisir de s'immerger dans cet univers sonore. Recommandé.
Harold Rubin/Alexander Frangenheim - Suite (Creative Sources, 2012)
Duo contrebasse/clarinette avec la participation du bassiste électrique Mark Smulian sur trois pistes, Suite est une collection de douze improvisations énergiques et instrumentales. Une suite de pièces libres aux accents lyriques par moments, centrées sur le rythme à d'autres moments, et souvent axées sur l'interaction, la réactivité et la dynamique. Les aigus se répondent de la clarinette criarde de Rubin aux harmoniques de Frangenheim, l'énergie omniprésente se transmet de l'un à l'autre musicien, les phrases aux dynamiques similaires s'entremêlent tout en conservant leurs caractéristiques sonores. Un dialogue énergique, nerveux et réactif. Un dialogue merveilleusement enrichi par la basse électrique de Smulian qui nous apporte une fraîcheur instrumentale inédite (je ne crois pas avoir déjà entendu un trio clarinette/contrebasse/basse électrique...). Des idées de dynamique, d'intensité et de pulsation voient le jour, sans jamais être étouffées par des lois et des consignes trop pesantes. Rubin et Frangenheim mises l'improvisation l'interaction et la spontanéité, sans pour autant refuser les idiomes. Une suite plutôt plaisante en somme, qui n'a pas grand chose de neuf à apporter, mais qui se laisse facilement entendre pour le talent et la virtuosité de ces musiciens méconnus.
Roberto Fega - Daily Visions (Creative Sources, 2012)
Si une chose est sûre, c'est l'engagement politique de Fega, qui dédicace ces daily visions à "tous les antagonismes politiques, culturels et artistiques de ce monde", les ornent de photographies d'émeutes et de manifestations, et entrecoupent ses compositions d'enregistrements sonores d'émeutes et de revendications sociales diverses. Ce qui est moins sûr, c'est ce que fait cet album sur le catalogue d'Ernesto Rodrigues... Car c'est bien la première fois que j'entends de la musique électronique composée, aux tonalités souvent dub et trip-hop, sur Creative Sources. Mais passons, je ferais mieux de me réjouir de la sortie d'un aussi bon disque plutôt que d'interroger sa place dans tel ou tel catalogue. Car Daily Visions est vraiment bon. Une musique facile d'écoute, intelligente et originale, composée avec précision et beaucoup de personnalité. Sur des boucles, des samples et des compositions électroniques pour ordinateur, Roberto Fega invite de nombreux musiciens à contribuer ici et là à un mélange détonant de musique électronique et acoustique, entre composition et improvisation idiomatique: Jennifer Scappettone, Marcello Sambati et Cecilia Panichelli à la voix, Francesco Lo Cascio au vibraphone, l'excellente trompettiste Ersilia Prosperi, Mario Camporeale à la guitare acoustique, Matteo Bennici à la contrebasse et enfin, Ludovica Valori à l'accordéon. L'instrumentation est riche mais parfaite pour une petite heure d'electro-jazz aux teintes expérimentales faites de textures osées, où se croisent diverses influences et méthodes de compositions, qui vont du spoken word au sampling, en passant par les soli modaux. Un album vraiment singulier et original, riche, dense, propre absorbant. Recommandé!
Roberto Fega "Daily Visions ReMix" bonus video track from roberto fega on Vimeo.