Guerreiro / Malfatti / Rodrigues - shimosaki (b-boim, 2013)
Autant prévenir tout de suite, c'est plutôt difficile d'écouter ce disque avant 21 heures quand on habite en ville ou dans n'importe quel environnement bruyant, surtout en suivant les recommandations de Malfatti, qui indique comme toujours que le disque est à lire "faiblement". Car le trio Ricardo Guerreiro (ordinateur), Radu Malfatti (trombone), Ernesto Rodrigues (violon alto), joue déjà très faiblement, et peu.
shimosaki est une improvisation qui semble tout de même très influencée par Radu Malfatti, maître du minimalisme le plus radical. Un minimalisme plutôt modéré ici dans la mesure où il y a peu de répétitions et beaucoup de changements. On trouve de nombreuses sonorités utilisées ici (peut-être est-ce aussi dû cette fois à l'influence de Rodrigues), allant des cordes effleurées par les crins, des souffles à travers le trombone, des notes claires et précises, et des sinusoïdes. Ceci-dit, entre ces éléments joués à peine plus fort que les mouvements d'un public qu'on entend aussi bien, c'est surtout le silence qui est omniprésent durant cette improvisation de quarante minutes. Pas un silence total, mais un silence qui sépare chacune des interventions prises de manière individuelle. Même s'il y a souvent du son, chaque musicien prend une respiration très longue avant d'intervenir et on a rarement l'occasion d'entendre simultanément les trois improvisateurs - qui cherchent apparemment à se faire plus discrets les uns que les autres.
Une pièce aussi calme que radicale, jouée à un volume aussi faible qu'extrême. Ce n'est certes pas inattendu, mais la rencontre entre ces personnalités offre quand même une musique renouvelée et rafraîchie.
[parallèlement et simultanément, un autre enregistrement de cette rencontre a été publié sur le label de rodrigues cette fois, que je chroniquerai sur le prochain numéro de revue&corrigée]
Ernesto Rodrigues / Neil Davidson / Wade Matthews - Erosions (creative sources, 2010)
Erosions est une autre rencontre inattendue et surprenante où trois musiciens assez différents tentent également d'établir un dialogue. Il s'agit cette fois d'Ernesto Rodrigues (violon alto), Neil Davidson (guitare acoustique) et Wade Matthews (synthèse digitale et manipulation de field-recordings). Trois musiciens qui ne jouent pas forcément sur les mêmes terrains, sur les mêmes esthétiques et méthodes d'improvisation, mais qui s'efforcent tout de même de créer ici une improvisation collective.
Ils s'y efforcent, et ils y arrivent - c'est même, pour ce qui est des enregistrements de Rodrigues et Davidson, un de mes disques préférés (d'ailleurs, j'avais déjà beaucoup aimé leur précédente collaboration intitulée fower). Cinq improvisations assez calmes et lentes, interactives et symbiotiques. Les textures sont originales et s'agencent de manière parfois symbiotiques, parfois opposées. Wade Matthews est certainement le plus étonnant des trois avec des enregistrements de trains transformés en fréquences granuleuses, des sinusoïdes impromptues et des souffles oniriques, les matières sonores qu'il produit sont franchement inventives et singulières, et il parvient à constamment surprendre et déjouer les attentes. Plus solidaires entre eux, du fait de leurs instruments à cordes et acoustiques, Neil Davidson et Ernesto Rodrigues semblent aller de pair - même si ce n'est pas toujours le cas. Une utilisation souvent détournée et/ou préparée des instruments, allant de l'insertion d'objets entre les cordes, à l'utilisation d'archet sur la guitare, en passant par les techniques étendues habituelles de col legno (frottement avec le bois de l'archet) et sul ponticello (frottement du chevalet), et je suis loin d'être exhaustif. Chaque émission de son est une invitation aux réponses, réponses qui s'intègrent ou s'opposent à la proposition initiale. Et du fait de cette interaction, la musique proposée durant ces cinq improvisations est plutôt variée et diversifiée, une musique qui est parfois calme et énigmatique, parfois forte et abrasive, proche à certains moments de l'eai, proche à d'autres moments du réductionnisme ou de l'improvisation libre non-idiomatique.
Mais tout au long de ce disque, ce sont des propositions fortes et des réponses justes. Une musique qui se renouvelle à chaque seconde et maintient constamment l'auditeur en haleine. Créatives, inventives, originales donc, mais aussi denses et riches, voici cinq erosions conseillées.
Ernesto Rodrigues / Gerhard Uebele / Guilherme Rodrigues / José Oliveira - contre-plongée [six cuts for string quartet] (creative sources, 2004)
Ernesto Rodrigues (violon & violon alto), Gerhard Uebele (violon), Guilherme Rodrigues (violoncelle) et José Oliveira (guitare acoustique & intérieur d'un piano) forment un quatuor un corde qui n'en est pas vraiment un. Même si les informations inscrites sur le disque précisent qu'il s'agit d'un quatuor et que la musique est composée, l'instrumentation ne correspond déjà pas à la norme (généralement deux violons, un alto et un violoncelle), et rien ne semble rapprocher cette musique du quatuor en tant que forme musicale (composée généralement de quatre mouvements en forme sonate, rondo et scherzo).
Ceci-dit, on a bien quatre instruments à cordes, quatre voix équilibrées qui dialoguent entre elles de manière indépendante et peu hiérarchisée comme dans un quatuor orthodoxe. Après, il s'agit d'un quatuor résolument contemporain, autant inspiré de la tradition écrite que de l'improvisation libre non-idiomatique ou de la musique électronique encore. Car ce quatuor explore avant tout les instruments de manière abstraite et très étendue. L'archet frotte les cordes, les cordiers, les chevalets et les tables d'harmonie de son crin et de son bois, et les cordes sont frappées, pincées, raclées, tendues, détendues. Peu de préparations mais beaucoup de techniques. Le résultat: une profusion de textures qui s'imbriquent les unes dans les autres de manière souvent unifiée, des textures calmes mais abrasives, granuleuses, tendues. Un quatuor à cordes comme on en a rarement entendu donc, un quatuor qui verse dans l'abstraction sonore et recherche les sonorités les plus profondes de chaque instrument. Un quatuor rude, grave, dur, et assurément non-idiomatique.