Ceux qui suivent un peu le parcours du musicien Heddy Boubaker savent déjà qu'un problème de santé lui interdit de jouer du saxophone depuis environ un an et demi maintenant, ce qui, aujourd'hui, n'empêche tout de même pas ce dernier de continuer la musique à travers le synthétiseur analogique et la basse électrique. Malgré un aspect légèrement anachronique, le Petit Label caennais a tout de même accepté de publier quelques enregistrements inédits de Boubaker, des improvisations pour saxophones alto et baryton enregistrées en 2010 et 2011, plus une pièce pour synthétiseur analogique ayant pour fonction de documenter la pratique actuelle de cet ancien saxophoniste.
Pour un peu, on pourrait assimiler la pratique du saxophone d'Heddy Boubaker au réductionnisme, mais des éléments rythmiques, parfois même mélodiques, ainsi qu'un aspect globalement plus énergique et moins contemplatif m'en empêche, caractéristiques qui le rapprochent plus de l’improvisation libre et non-idiomatique. Ceci-dit, de même que les musiciens dits "réductionnistes", Heddy Boubaker utilise ses saxophones de manière principalement abstraite, et s'en sert autant comme une source sonore que comme un instrument. Sur la plupart de 11 pièces pour saxophone, ce dernier n'utilise que rarement son bec et souffle directement dans le bocal, et n'utilise que des techniques étendues. Pratique radicale et systématique à laquelle il nous avait déjà habitué à travers de nombreux projets (solo, duos avec Soizic Lebrat, Birgit Uhler, etc.). Il nous propose donc une suite de pièces qui ont tendance à n'explorer qu'un seul paramètre sonore ou qu'une seule technique: que ce soit la résonance du souffle ou de la salive à travers le corps et la culasse du saxophone, l'exploration des clefs et des tampons, quelques frottements de la mécanique, des multiphoniques et des "fuites" d'hamoniques.
Quant à l'improvisation pour synthétiseur, c'est loin d'être ma préférée, Heddy Boubaker pose un bourdon sous forme d'un bruit blanc stationnaire et léger, qui s'apparente à un souffle, et sur lequel se greffent et se superposent des interventions pointillistes, très courtes, des bips et des blips sur des registres extrêmes.
Une exploration méticuleuse du saxophone, mais aussi et surtout à travers une approche sensible et musicale de l'instrument. Heddy Boubaker ne se contente pas ici de produire une musique abstraite, il explore le saxophone de manière profonde et bruitiste certes, mais tout en insérant ce contenu dans des formes sensibles et structurées, en faisant littéralement de la musique avec du bruit. Une approche qui me semble sensible et chargée d'affect aussi pour l'aspect quelque peu tragique de cette publication, car même si ce n'est pas forcément la dernière édition d'Heddy Boubaker au saxophone, il se peut que ce soit la dernière fois que je l'entende sur cet instrument qu'il maîtrise et utilise si bien... Conseillé.
[présentation, informations & extraits: http://www.petitlabel.com/pl/disque.php?ref=PL%20son%20015]