Jean-Baptiste Perez / Nicolas Talbot / Maël Guezel - HoHHot (Petit Label, 2009)
A l'occasion de la sortie de quelques nouvelles références sur le Petit Label, je reviens sur plusieurs anciennes publications, dont HoHHot, un trio où on peut entendre le fondateur de cet excellent label artisanal et exigeant, Nicolas Talbot, à la contrebasse. A ses côtés, Maël Guezel aux percussions et Jean-Baptiste Perez à la voix et au saxophone soprano. De ce dernier, on ne peut que difficilement éviter les comparaisons faciles, mais qui paraissent tout de même assumées. Pour la voix, on croirait parfois entendre les éructations et les borborygmes de Phil Minton, tandis qu'au soprano, on arrive aisément à faire les liens avec les harmoniques et les techniques étendues de Doneda.
Mais bon, ce n'est que formel, la musique de ce trio ne ressemble pas vraiment à ce que ces deux musiciens jouent habituellement. Ici, il s'agit d'une musique souvent forte et agressive, une musique où les cordes de la basse sont raclées plus que frottées, où la grosse caisse et les cymbales s'entrechoquent pour former des masses sonores imposantes. Le trio Perez/Talbot/Guezel joue sur la réactivité et l'instantanéité, chaque idée trouve une réponse immédiate, irréfléchie et inconsciente, une réponse spontanée en somme. Le trio explore aussi de nombreux registres et de nombreux univers au cours de ces errances improvisées: des registres extrêmes et des textures créatives, des ambiances très tendues et nerveuses, mais aussi calmes et contemplatives parfois. Ce qui les relie toutes? cette soif de spontanéité et de liberté, cette exigence de réactivité et de rapidité.
De la musique improvisée libre, qui n'est pas renversante par son originalité, mais qui est jouée avec talent, voire virtuosité, et surtout, avec sincérité et un amour flagrant pour cette musique.
[présentation, informations & extrait: http://www.petitlabel.com/pl/disque.php?ref=PL%20son%20009]
Patrick Martin - Alto (Petit Label, 2012)
Sobrement intitulé Alto, ce solo du saxophoniste Patrick Martin est un court enregistrement de quinze minutes accompagné d'un livret où se trouve une ode dithyrambique au saxophone, le tout en vers libre. Optant pour une exploration aux tendances réductionnistes, Patrick Martin n'utilisera pas son bec de ce disque. Il s'attache surtout à exploiter le saxophone comme un corps résonant, comme un corps de résonances. Ce n'est pas l'anche qui résonne à travers le corps du saxo, mais le corps du musicien, et le corps du saxo. Musique immédiate où jets de souffle et de salives sont propulsés à travers l'alto, où le corps de l'instrument est mis en résonance par des jeux de langue, de bouche et gorge. Une musique abstraite sans note, ni mélodie ni rythme, une musique qui se joue sur l'équilibre entre les blocs de sons et les différentes matières, et qui rappelle parfois Heddy Boubaker ou Axel Dörner. Un jeu de couleurs abrasives et organiques, peut-être virtuose, mais un peu trop court et pas assez développé. C'est la première fois que j'entends ce saxophoniste, et j'attends de voir la suite en gros, une suite qui promet quand même.
[présentation, informations & extrait: http://www.petitlabel.com/pl/disque.php?ref=PL%20blanc%20005]
Didier Lasserre - Les nerfs sont silences (Petit Label, 2008)
Un titre très beau - emprunté à Tzara - pour ce solo d'un poète du son et du silence. Les nerfs sont silences. Une citation qui prend tout son sens à l'écoute de ces sept pièces pour "une grosse caisse ancienne, une caisse claire et une cymbale". Car Didier Lasserre, contrairement à de nombreux percussionnistes, n'est surtout pas là pour faire déployer une virtuosité et une rapidité hors du commun. Ni pour explorer des longs continuums et des masses sonores organiques. Le travail de Didier Lasserre sur les percussions se déroule toute en finesse, en précision et en sensibilité. Le percussionniste semble réfléchir ici à comment laisser émerger chaque son du silence, et à comment laisser ce son retourner au silence. Des sons et des silences qui finissent parfois par se confondre tant ils paraissent intimes et réciproques. Durant ces sept pièces, toute l'attention est portée au son en tant que tel, en tant que matière et couleur, mais aussi à son déroulement et à son écoulement dans le temps. Un temps hors du commun, un temps de concentration extrême et de poésie percussive. Et une fois l'écoulement du son passé, c'est au silence que Lasserre s'intéresse, et il s'y arrête d'une manière aussi tendue, réfléchie, et musicale que pour chacune de ses productions sonores. Dès lors, une caisse claire est frottée par du bois, une grosse caisse est violemment frappée malgré la détente de sa peau, une harmonique surgit, selon des modalités temporelles diverses, auxquelles le silence répond de manière presque systématique et organique. Un très bel exemple assez original, plutôt intime et personnel, de percussion minimaliste et poétique, de recherche timbrale, et de travail sur la durée et le silence.
[présentation, informations & extrait: http://www.petitlabel.com/pl/disque.php?ref=PL%20son%20004]
Benjamin Duboc - Pièces pour contrebasse et tuyaux (Petit Label, 2006)
C'était il y a plus de six ans, Benjamin Duboc se faisait connaître à travers différentes formations de free jazz et de musique improvisée, il commençait juste après à publier aux côtés de ses fidèles collaborateurs (les percussionnistes Edward Perraud et Didier Lasserre, les saxophonistes Sylvain Guérineau et Jean-Luc Guionnet). Déjà le talent et la créativité de ce contrebassiste émergeaient lors de ce solo, ce que ses derniers disques n'a fait que confirmer (cf. son solo Primare Cantus, longue pièce de 45 minutes jouée à l'archet sous le chevalet, et les deux publications en trio de chez Dark Tree Records, En Corps [Eve Risser/Duboc/Perraud] et Pourtant les cîmes des arbres [Daunik Lazro/Duboc/Lasserre].
Avec ces deux pièces pour contrebasse et tuyaux, Benjamin Duboc nous propose deux longues improvisations d'environ vingt minutes chacune. Deux longues pièces réfléchies et structurées, où chaque idée, correspondant à un bloc de matière et à une dynamique précise, à une certaine gestion de l'espace, temps du son, de l'énergie et des couleurs, où chaque idée donc est déployée avec rigueur. Où chaque idée correspond à une unité de temps et aboutit à une gestion personnelle et sensible de la durée. Des unités qui se succèdent et se répondent les unes aux autres pour former une temporalité cohérente. Autant d'éléments formels qui font de ce contrebassiste un musicien original et singulier, et c'est sans compter sur son inventivité et sa créativité au niveau du contenu. Car la matière sonore utilisée par Duboc est exceptionnellement riche: des préparations métalliques de la contrebasse aux multiples modes de jeux et techniques étendues, en passant par l'utilisation acoustique d'objets résiduels (tuyaux) utilisés avec musicalité et quelques discrets enregistrements, Benjamin Duboc déploie tout un univers sonore hors du commun sans jamais vraiment tomber dans l'abstraction sonore ou la "non-musique". Car toute cette matière est utilisée dans des structures équilibrées et des formes précises et poétiques. Une musique riche, intense et organique. Mais aussi et surtout très personnelle et donc singulière. Recommandé.
[présentation, informations & extrait: http://www.petitlabel.com/pl/disque.php?ref=PL%20son%20001]