Le label portugais Shhpuma n’a
décidément pas fini de nous surprendre. Avec ces Earworm Versions, par le groupe Parque, on se retrouve ici face à
une musique épique, proche de l’art total comme aurait pu le concevoir Wagner.
Le groupe est composé de six musiciens : Nuno Torres (saxophone alto), Ricardo
Jacinto (violoncelle, percussion), Nuno Morão (mélodica, percussion), João
Pinheiro (vibraphone, percussion), Dino Récio (percussions) et André Sier
(électronique). Composée par Ricardo Jacinto et jouée à l’occasion d’une de ses
expositions, cette suite en trois mouvements bien distincts est principalement
basée sur une installation sonore composée de miroirs suspendus, une
installation monumentale qui se révèle d’une grande richesse. Même si tout s’apparente
à de l’art sonore, le plus étonnant dans cette suite est peut-être l’aspect
très mélodieux et musical des compositions, ainsi que l’utilisation souvent
traditionnelle des instruments. Un espace musical où l’art sonore est au
service de la musique populaire, et où la distinction entre musique improvisée
et musique écrite se brouille.
Sur le premier mouvement de ce
disque (c’est-à-dire les trois premières pistes), on est face à une musique
calme, aérée (rarement plus de deux musiciens jouent simultanément, et le
silence est assez présent), ponctuée de quelques arpèges et glissandi au
violoncelle, d’un saxophone langoureux,
et des inévitables percussions, qui donnent ici un son proche de plaques de
tôles frottées. L’espace se resserre au fur et à mesure et la pièce devient de
plus en plus tendue, jusqu’à l’explosion programmée durant la troisième partie
de ce mouvement où les interventions électroniques d’André Sier prennent une
place de plus en plus importante et imposante, et où le dialogue entre chaque
musicien devient proche de l’eai, un
dialogue énergique et réactif.
« OS », le deuxième mouvement
de cette suite, et aussi le plus important – notamment en termes de durée,
puisqu’il dure plus de trente minutes sur les 75 minutes que dure ce disque –
se caractérise par l’introduction d’un enregistrement vocal et une utilisation
de hauteurs déterminées sur les percussions. Un mouvement fantomatique où la
voix récite un texte qui émerge de percussions spectrales aux allures de
cloches. Une expérience étrange aux sonorités improbables, avec une voix
théâtralisée qui ajoute une nouvelle dimension (poétique ? théâtrale ?
épique ?) à cette musique déjà riche. Les miroirs suspendus sont joués
comme des gongs, ou des balafons, ou des instruments percussifs à usage rituel,
les cymbales ajoutent des harmoniques, et le saxophone toujours aussi émotif
répond parfaitement à cette voix prophétique survenue d’on ne sait où.
Et
enfin, pour conclure ce voyage intense et épique, une dernière pièce
basée sur le balancement d'une enceinte. Tous les instruments
(violoncelle, saxophone, vibraphone, cymbales et mélodica) tentent au
mieux d'imiter ce mouvement mécanique de pendule, et joue sur la hauteur
et l'intensité d'une note répétée à chaque mouvement. Très belle
réalisation spatiale où le son devient cinétique.
Beaucoup
d'éléments mélangés dans cette longue suite, des éléments théâtraux et
poétiques, architecturaux et scénographiques, musicaux et acousmatiques.
Un mélange (d-)étonnant pour un art total aux relents wagnériens. Une musique vraiment originale et personnelle, riche et construite intelligemment, savante et réfléchie. Vivement conseillé.
[suite des captations vidéos: http://www.ricardojacinto.com/main-projects/projects/parque/parque-earworm-versions
présentation & informations: http://shhpuma.com/next-releases-on-shhpuma-records/]