EVAN PARKER - Vaincu. Va! (Western Front, 2013) |
Tout commence avec des attaques brusques suivies de glissando - comme si Evan Parker testait l'acoustique de la salle de concert, testait l'interaction entre l'espace et son saxophone soprano. Il ne lui faudra pas plus de quelques secondes pour apprivoiser le lieu. Très vite, le saxophoniste britannique se lance dans une longue improvisation monolithique et linéaire, basée sur la respiration continue et les possibilités polyphoniques du soprano. Durant ce live, très dense et intense comme souvent chez EP, ce dernier prend tout de même le temps de s'arrêter quelquefois sur des boucles mélodiques, des mélodies polyphoniques comme nous en resservira Colin Stetson, mais quelques trente ans plus tard...
Ces bribes de mélodies, ces cycles hallucinés, blocs envoûtants qui surgissent parfois du long flux d'EP avant de s'y engouffrer sans même qu'on ait eu le temps de s'en rendre compte; ces mélodies donc, si elles conservent la même intensité que le reste de l'improvisation et le même caractère non-idiomatique, permettent d'aérer et d'apaiser cet enregistrement, du reste très nerveux, agressif et tendu. Car durant cette grosse demi-heure, les respirations sont rares, et quand il y en a, c'est que les idées, trop rapides et nombreuses, ne peuvent plus se percevoir qu'avec l'aide du silence et de la respiration, sans quoi on tomberait dans une fusion d'idées chaotiques.
Mais ces silences et ces esquisses mélodiques ne sont pas le plus important à mon goût même si ils facilitent l'écoute et font de ce disque une très bonne introduction au travail en solo d'EP. Ce qui m'impressionne beaucoup chez ce dernier - comme chez la plupart des musiciens que j'admire le plus, de Coltrane à Bismillah Khan, en passant par Keith Rowe et Michael Pisaro - c'est cette faculté de toujours faire la même chose en se renouvelant constamment. Durant ce livre (mais ceci s'applique aussi à l'ensemble de ses enregistrements), EP se propulse le long d'une trajectoire unifiée, riche et dense, il s'y propulse corps et âme en conservant toujours la même intensité. Une intensité maintenue très haut, jamais rompue, et qui permet de relier tous les évènements qui se déroulent durant ce concert.
Avec ses innombrables et subtiles techniques étendues (qui passent aussi bien par la respiration continue, que par des variations des doigtés, du flux respiratoire, de la position de la langue, des lèvres, etc.), EP a bouleversé l'histoire du saxophone et des instruments monophoniques. En solo, exercice périlleux auquel il s'est souvent adonné avec plaisir, sa virtuosité n'en ressort que mieux. Mais aussi et surtout son énergie et sa corporalité (mises ici en avant par une prise de son très rapprochée), bref son individualité. Les enregistrements d'EP sont déjà nombreux aujourd'hui (y compris ses solos), et un de plus peut ne pas forcément paraître nécessaire. Pourtant ce témoignage supplémentaire me paraît encore une fois essentiel, notamment du fait qu'EP atteignait à cette période son plus haut degré de virtuosité tout en continuant de rechercher une voix et de l'explorer à travers ces longs cris hallucinants. Recherche, maturité, sagesse et fougue étaient au rendez-vous : hautement recommandé!
[présentation, informations, extrait: http://front.bc.ca/events/evan-parker-concert-and-lp-launch/]
(disponible en france et en europe chez metamkine)