GRAHAM STEPHENSON/AARON ZARZUTZKI - Touching (Erstwhile, 2013) |
De Graham Stephenson, je me rappelle son solo pour trompette et microphone qui exploitait une amplification extrêmement proche et physique du cuivre dans sa version réductionniste. De Zarzutzki, je me rappelle vite fait d’une double cassette de son duo avec Nick Hoffmann où chacun explorait de la matière sonore abstraite et lo-fi. Je n’étais donc pas réellement surpris par ce duo expérimental d’improvisation sauvage et rugueuse.
Car chacun à leur manière et avec
leurs instruments (Graham Stephenson à la trompette et au micro ; Aaron Zarzutzki
au synthétiseur et microphone) les deux musiciens continuent d'explorer la même méthode de
jeu. Une forme éclatée et chaotique, basée sur les ruptures énergétiques, sur
la diversité des dynamiques, et un jeu constant sur les textures abrasives et
granuleuses, volontairement dégueulasses et très proches de la source sonore. Le
synthétiseur est avant tout le véhicule de l’électricité, la trompette un corps
résonant, les deux musiciens se servent de leurs instruments comme d’objets
voués à la perte et à la destruction. Et qui se concentre aussi de manière très
sensible sur la physicalité du son, de la source sonore, et du mode de
diffusion. Car à travers la mise en avant de l’électricité, l’insertion de
micro (contacts ?) dans le pavillon, un enregistrement très fort et du
coup très localisé, Stephenson & Zarzutzki produisent une musique
viscérale, qui joue aussi bien sur la physique des sons acoustiques,
électroniques, que sur la présence du silence.
Il y a quelque chose de franchement
nihiliste dans cette musique. Une sorte de précipitation dans la perte et la
destruction, aussi bien de la forme, que du son, ou de l’instrument. Mais un nihilisme
égocentrique, où l’individualité, l’intuition, la spontanéité et l’imagination
de chacun sont remises au premier plan – de manière beaucoup plus radicale que
dans l’improvisation libre peut-être. Car la prise de son très rapprochée, si
elle met en avant la physicalité du son, met aussi en avant le corps et la
personne des musiciens. A travers les souffles, les crépitements, et les
hésitations, ce sont bien Stephenson et Zarzutzki que l’on perçoit, non
médiatisés par des codes et des normes esthétiques et formelles. Une musique
archaïque d’une certaine manière (purement sonore en fait), mais très en avance
sur le rapport au son et à l’improvisation. C’est brut, sauvage, violent,
extrême, granuleux, abrasif, crade et primitif : très bon.
Avec ce duo, plus le Anne Guthrie/Richard Kamerman ainsi que le Joe Panzner/Greg Stuart, c'est une nouvelle série consacrée aux jeunes musiciens expérimentaux qui s'annonce très prometteuse. A suivre avec les duos J.P. Jenkins/David Barnes, Tucker Dulin/Ben Owen, Kevin Parks/Vanessa Rossetto, et Reed Evan Rosenberg/Ethan Tripp...