Joe Panzner / Greg Stuart - Dystonia Duos (Erstwhile, 2013) |
Le label Erstwhile inaugure une
nouvelle série mystérieusement intitulée erstAEU et consacrée aux jeunes
musiciens et compositeurs américains. Une série qui commence en beauté avec
trois duos (certainement la forme la plus récurrente du catalogue), dont les Dystonia Duos de Joe Panzner (électricité)
et Greg Stuart (électricité, friction, gravité). Une série de trois pièces
noise très abrasives, qui utilise des textures et une violence déjà connues,
mais en se l’appropriant à travers une forme renouvelée, et à travers un
univers sonore qui se révèle chaque plus autre que ce que l’on croyait. Ce qui
fait de ces Duos quelques unes des
pièces de noise les plus mémorables que j’ai entendu depuis longtemps, un coup
de fraîcheur digne d’un Kevin Drumm...
Déjà, Panzner seul n’utilise pas
vraiment de formes conventionnelles et fait très attention aux structures de ses morceaux, le chaos propre à la harsh noise est soigneusement évité. En
plus, la présence de Greg Stuart, le principal interprète des pièces de Pisaro,
également présent dans de nombreuses réalisations du collectif Wandelweiser, ne
peut que conforter le duo dans l’attention première à la structure. Et c’est
en partie ce qui fait toute la puissance de ce disque.
Sur « organ b/w timpani solo »,
tout commence avec des sons très abrasifs et nerveux qui s’entrechoquent de
manière chaotique avec le silence. Un son parfois très fort et tendu, mais
aussi très lointain et faible par moments, tout en restant corrosif néanmoins.
Puis petit à petit, un drone s’installe, un drone de plus en plus fort et
massif, un bourdon épique qui s’épaissit de seconde en seconde jusqu’à
atteindre une puissance vertigineuse. Ce qui permet l’arrivée naturelle de « dissection
puzzle », un morceau hyper nerveux et bruyant, fait d’électricité
toujours, de saturation, de larsen, de bruit blanc, et de masses sonores qui se
confrontent. Ici, Panzner & Stuart se lâchent, semblent tout lâcher d’ailleurs,
et abandonnent l’auditeur à un chaos sonore digne de la pire représentation musicale
de physique quantique. Une pièce incroyable, extrêmement puissante et dense, où
des blasts sont submergés par des murs de sons, une pièce très dynamique qui se
repose quelques secondes – toujours au bon moment, ce moment fatidique proche
de l’épuisement – pour toujours repartir de plus belle. Essoufflant, oui,
psychotique et hystérique, oui, mais avant tout, excellent. Puis en guise de
conclusion, une pièce beaucoup plus linéaire où on peut plus facilement se
rendre compte de l’inventivité des deux musiciens au niveau des textures. Il s’agit
ici d’une nappe continue composée de plusieurs strates qui apparaissent et
disparaissent au fil du temps. Un morceau qui s'étiole progressivement et qui permet de quitter en douceur cet
univers plutôt dur et torturé.
Car outre l’intérêt porté à la
structure, à la dynamique globale et à la forme des pièces – et si c’est
improvisé, je ne peux que saluer l’intuition hors-norme et le sens de la totalité
des deux musiciens – Joe Panzner et Greg Stuart parviennent également à
produire des textures hors du commun. Des textures proches de la noise pour l’aspect
agressif, dur et massif, mais il s’agit ici de timbres plus clairs, profonds,
et transparents que d’habitude. Une musique unique pour son sens de l’équilibre
au niveau des nombreuses dynamiques engagées, mais aussi pour sa précision et
sa virtuosité sonore et plastique. Une véritable immersion sonore dans l’électricité
et la fabrication analogique du son, une immersion renversante et puissante,
qui se révèle sous une autre facette à chaque écoute. Hautement recommandé !