Une citation d'un mystérieux Francis Brown ouvre le disque par un questionnement simultanément métaphysique et musical: "do I cease to exist inbetween waves of sound?". C'est ce qu'on peut lire à l'intérieur de la pochette de darenootodesuka, une oeuvre au nom non moins mystérieux par l'un des compositeurs les plus radicaux et les plus extrêmes du collectif Wandelweiser. Radu Malfatti, le tromboniste qui s'est toujours démené pour faire exister le silence comme certains mystiques avec le néant. Mais ici, il n'est plus réellement question de silence, du moins pas formellement. Il s'agit d'une longue pièce de 48 minutes pour un sextet interprété ici par d'autres membres de Wandelweiser: Antoine Beuger à la flûte, Jürg Frey à la clarinette, Marcus Kaiser au violoncelle, Radu Malfatti lui-même au trombone, Michael Pisaro à la guitare, et Burkhard Schlothauer au violon.
Le silence n'est plus réellement présent? pas sûr. En fait, l'orchestre joue si bas qu'on se demande parfois s'il y a du son, les accords successifs qui forment de longues vagues ne semblent avoir ni début, ni fin. Il faut presque doubler le volume de sa chaîne pour entendre ce qu'il se passe. Et encore... Ceci-dit, une fois à l'intérieur des vagues de darenootodesuka, on ne veut plus en sortir. Il s'agit de longs accords qui forment comme des aplats, comme des vagues de sons, des vagues jouées sur un rythme cyclique et cosmique. Les instruments ne semblent pas avoir une grande importance, il s'agit de créer des nappes neutres et inexpressives très calmement, très très calmement. Si doucement que le moindre bruit (toux, chaise), si faible soit-il, surgit avec une violence peu commune. En tout cas, c'est un plaisir de se laisser emporter par ces nappes chaudes, rondes, et accueillantes, de se laisser bercer par ces cycles organiques et cosmiques. La musique de Malfatti est d'une beauté inusuelle, la question existentielle qui ouvre le disque se résout dans une succession d'accords poétiques et chaleureux, sensibles, beaux. On aimerait parfois que ce soit plus fort, afin de se laisser envelopper plus facilement par la musique, mais en même temps, la délicatesse et la douceur de darenootodesuka ne font que renforcer sa sensibilité et sa profondeur méditative. On se laisse envelopper, mais sans s'oublier, la musique pose des questions, sur la complémentarité du son et silence, sur l'impossibilité de la musique sans le silence, sur la réalité métaphysique et existentielle du silence, sur l'importance de l'environnement durant l'interprétation et l'audition, etc. Et la musique, toute en douceur, répond à sa manière.
Une musique profonde, poétique et philosophique, mais aussi - et surtout - personnelle et radicale. A écouter.