Pour commencer, qu'est-ce qu'un belvédère? en architecture c'est une sorte de terrasse panoramique établie pour admirer le paysage selon une certaine orientation. On comprendra vite le lien entre l'architecture et la musique proposée par ce quartet en regardant le dispositif d’enregistrement et de prise de son. A l'intérieur (et à l'extérieur) de la Villa Adriana, Eric La Casa a disposé plusieurs types de microphones (micro d'ambiance et instrumentaux) qui captent aussi bien les sons environnants que l'improvisation des trois musiciens. Le tout relié à une table où enregistrement et mixage se font en direct. Les musiciens - Jean-Luc Guionnet (saxophone alto), Emmanuel Petit (guitare) et David Chiesa (contrebasse) - peuvent ainsi se déplacer à l'intérieur d'une étendue plus vaste que d'habitude, le lieu d'enregistrement devient lieu de vie mobile.
Un dispositif qui permet le déplacement des musiciens d'un côté, mais aussi le déplacement de l'enregistrement, car ce sont aussi les microphones qui peuvent s'éloigner de la musique (via la table de mixage) pour mieux capter les sons environnants - oiseaux, voitures, insectes, etc. J'en oublierais presque la musique elle-même. Pour faire bref, il s'agit d'une seule improvisation de 70 minutes, une longue et lente improvisation, très espacée et aérée, constituée de sons aux bords de l'abstraction. Légers larsens à la guitare, cordes frottées longuement à la contrebasse, notes étirées au saxophone, quelques techniques étendues par moments (multiphoniques, acier dans les cordes) et des interventions brèves et brusques ponctuent et donnent un relief très intense à cette improvisation minimaliste et contemplative. Mais ici, forme et contenu sont inséparables et la musique elle-même n'est pas forcément plus intéressante que le dispositif d'enregistrement. Ce qui est envoutant, c'est avant tout la mise en espace du son, l'étroite collaboration et interaction entre le lieu, l'enregistrement et les musiciens. Une mise en espace qui parvient à considérablement modifier la perception de l'auditeur et à produire de nouvelles sensations inhabituelles pour les oreilles. Un travail riche où l'attention à l'espace et à la durée nous plonge dans des contrées perceptives nouvelles, où les techniques d'enregistrement et de mixage font enfin partie intégrante du processus musical.