Bon d'accord, je pense que la majorité des lecteurs de ce blog a entendu au moins une fois cette œuvre (certainement la plus célèbre avec 4'33) de John Cage. 16 sonates et 4 interludes pour piano préparé. Une des plus importantes œuvres pour cet instrument et cette méthode de jeu en un sens. Et ce notamment grâce à sa place historique, car elle fut une des premières œuvres a utiliser le piano préparé de manière systématique (l'instrument avait tout de même été utilisé dans des pièces antérieures à 1946 - date de début de composition de cette œuvre qui fut écrite jusqu'en 1948). On connaît aussi l'influence qu'exerça la philosophie et la musique indiennes sur cette œuvre qui tente d'en restituer les émotions. Mais aussi d'autres musiques comme la musique balinaise et son balafon qui semble à l'origine de certaines préparations à base d'objets métalliques, tels ces clous qui font ressembler le piano à un balafon ou à un vibraphone, mais aussi à un gamelan javanais à certains moments. Des sonorités orientales, complétées par des procédés d'écriture polyphoniques et/ou polyrythmiques qui nous rapprochent encore et toujours de l'Orient tel qu'imaginé par John Cage. Mais la force de ces Sonatas & Interludes ne résident pas seulement dans la puissance d'évocation ni dans l'imitation, c'est aussi aussi le prisme occidental qui fait de cette œuvre quelque chose d'unique. Car Cage explore des timbres et des procédés d'écritures orientaux tout en conservant de nombreuses techniques et procédés orientaux: l'utilisation du piano d'une part, mais également la forme sonate qui est méticuleusement conservée avec ses deux parties répétées. Un mélange improbable et unique de pensées indiennes et orientales, de techniques d'écriture classiques européennes, et d’expérimentations américaines et contemporaines. Splendide!
Quelques mots maintenant sur James Tenney. L'enregistrement de cette interprétation date maintenant de 10 ans, et on peut se demander l'intérêt de publier cette interprétation inédite je crois. Outre ses connaissances monumentales de l’œuvre de Nancarrow (dont l'influence sur le piano fut presque aussi énorme que Cage), James Tenney était également un ancien élève et un proche de JC avec qui il a donné plusieurs représentations. Pour cette performance des S&I, James Tenney choisit une approche virtuose et plutôt rapide, plus axée sur les sonorités et les rythmiques que sur les nuances. Ces dernières sont peu exploitées et rendent cet enregistrement assez égale à lui-même, mais laisse également ressortir encore plus les potentialités émotionnelles de chacune des pièces. L'enregistrement et le son du piano ont un son pur, cristallin, qui se déploie avec aisance et avec puissance. Chaque phrase et chaque timbre surgit avec une émotion si forte qu'elle en cache presque la forme et la technique. Des quelques interprétations que je possède (Tilbury, Berman par exemple), c'est sans aucun doute la plus forte au niveau émotionnel, mais aussi la plus claire au niveau des couleurs. Je pense même que c'est la meilleure interprétation que j'ai entendu de cette œuvre. Vivement conseillé.