PHILL NIBLOCK - Touch Five (Touch, 2013) |
Touch Five est un bon exemple de ce cas. Tandis que le premier disque regroupe une pièce pour violoncelle avec Arne Deforce et une pièce pour harpe électrique avec Rhodri Davies, le second regroupe trois fois la même pièce jouée par trois quartets de guitare différents. Chacune des compositions n'adoptent pas les mêmes méthodes, et l'intrumentation varie : pourtant, la musique ne semble pas évoluer, mais elle est quand même toujours différente selon les interprètes et les réalisations, et on ne la ressent jamais de la même manière.
Tout est affaire de différence et de répétition d'un côté. Phill Niblock fait peut-être toujours la même chose, mais il le fait très bien en tout cas. Toutes les méthodes sont bonnes ainsi pour composer ces magnifiques clusters minimalistes qui explorent le son d'une corde, d'un instrument ou d'un orchestre de la même manière. Sur les deux premières pièces par exemple, Phill Niblock utilise ProTools pour mettre en avant le spectre microtonal dégagé par les deux instruments (le violoncelle puis la harpe). A partir d'une note fondamentale, Phill Niblock construit tout un nuage sonore, une texture dense, massive et hors du commun. Comme le disent les notes, la première pièce, Feedcorn Ear, possède un caractère très lumineux et ouvert, le violoncelle brille de lui-même et s'ouvre de manière presque fantastique à l'expérience de l'écoute. Quant à A Cage of Stars, c'est Rhodri Davies lui-même qui brille de précision et de finesse, tandis que le nuage est ici plus resserré et contrit, il dégage moins de lumière mais est tout aussi intense et envoutant.
Puis vient le second disque, assez monumental à vrai dire puisqu'il s'agit d'une seule pièce de 23 minutes, Two Lips, jouée trois de suite par trois formations différentes : le Zwerm Guitar Quartet (Kobe van Cauwenberghe, Matthias Koole, Toon Callier et Guy de Bièvre), le Dither Guitar Quartet (Taylor Levine, David Linaburg, Joshua Lopes, James Moore) et enfin le Coh Da Guitar Quartet (David First, Seth Josel, Robert Poss et Susan Stenger). Trois versions d'une partition composée de deux parties, l'une allant d'un sol à un fa dièse, et l'autre d'un sol dièse à un la, sans utiliser de glissando, et sans que la changement de tonalité s'entende non plus. Les musiciens utilisent comme d'habitude des micro-intervales très précis, et nous font naviguer d'une territoire sonore à un autre sans que l'on remarque la progression. On n'est ni dans la dissonance, ni dans la consonance, mais dans un nuage sonore pur, qui évolue de manière organique et progressive, par des frottements imperceptibles. En ce sens, la troisième version est certainement la plus réussie. Les écarts sont très proches, les frottements minimaux, sans compter que c'est la version la plus grave et la plus austère. Grave dans la tessiture, mais aussi dans l'ambiance, proche du statique, tout en évoluant de manière insensible.
Phill Niblock, fidèle à lui-même, offre ici trois pièces lumineuses, basées sur le nuage sonore qui progresse par microtonalité. C'est puissant, dense, massif, impressionnant, précis, voluptueux et sensible, très virtuose et méticuleux : bref j'adore.