Sabine Ercklentz & Andrea Neumann - LAlienation

ERCKLENTZ/NEUMANN - LAlienation (Herbal International, 2010)
Il y a trois ans, Sabine Ercklentz (trompette & électronique) et Andrea Neumann (inside piano & table de mixage) publiaient Lalienation, un disque qui a fait parlé de lui à ce moment. Car les deux musiciennes proposaient d'une part un disque d'eai accompli, mais non contentes d'arriver au sommet, elles parvenaient en plus à prendre une toute autre direction et à faire un disque plus accessible que les productions habituelles d'improvisation électroacoustique.

Une formule d'eai accomplie tant dans la pratique que dans le dispositif utilisé. Chacune des musiciennes utilise un instrument et l'utilise en tant qu'instrument aussi bien qu'en tant que source sonore abstraite. Sur ces instruments sont placés des micros piezzos reliés soit à des pédales d'effets et des filtres (pour Ercklentz), soit à une table de mixage en larsen (Andrea Neumann). Et durant, ces improvisations (qui ne sont pas tant improvisées que ça d'ailleurs), les textures peuvent aussi bien être instrumentales, complètement électroniques et abstraites, ou abstraites et acoustiques (par le biais de nombreuses préparations sur le piano et d'une foule de techniques étendues à la trompette). Tout se mélange à certains moments, on ne sait plus qui fait quoi, tandis qu'à d'autres moments, la trompette ressort clairement, ou le piano, ou alors on ne sait plus si les instruments sont modifiés par l'électronique ou par les préparations et techniques étendues. Ercklentz & Neumann utilisent le dispositif avec un équilibre harmonieux entre le jeu purement instrumental, l'instrumentation modifiée de manière acoustique, les instruments amplifiés et modifiés par l'électricité, et l'électronique pure. Impossible de qualifier cette musique d'instrumentale, ou d'électronique, tant le dispositif et les techniques sont équilibrés - et c'est en cela que ce disque est un des rares sommets de l'eai je trouve. 

Et l'autre aspect excellent de ce disque relève plutôt du comportement et du caractère des musiciennes face à l'approche électroacoustique. Ercklentz et Neumann ne se plongent dans une exploration austère, abstraite et chiante du son, ni dans un jeu de réactivité suractif et surexcité qui en rajoute à chaque seconde. Les deux musiciennes paraissent avoir pris beaucoup de recul face à ces clichés de l'improvisation, et elles adoptent une disposition plus légère et humoristique face à la musique. Oui, elles explorent parfois les textures électroacoustiques de manière très sérieuse et calme, où l'interaction entre elles-mêmes et leur dispositif ; mais ça ne les empêche pas non plus à de nombreuses reprises de produire des motifs qui groovent, des patterns électro, de détourner les phrasés du jazz ou de jouer avec des glissandi électroniques niais. Neumann & Ercklentz adoptent une position à contre-courant de l'eai, une position de recul et de légèreté face au réductionnisme berlinois qu'elles connaissent (toutes les deux vivaient à Berlin à ce moment je crois), face à l'improvisation libre réactive et énergique, tout en produisant une musique extrêmement talentueuse, profonde, unique et surtout très créative et innovatrice. J'aimerais en effet entendre beaucoup plus de trucs comme ça dans l'improvisation libre et électroacoustique.

Une musique fraîche, innovante, drôle, extrêmement virtuose, talentueuse et précise. Neumann & Ercklentz gère leur dispositif qui allie électronique et instruments avec un équilibre saisissant, puis elles en explorent les propriétés les abstraites (de grains, de textures) et les plus inattendues (avec les passages les plus groove) - le tout sans renier l'humour et la joie propre au partage et à la collaboration.