Dans les années 90, un chanteur dérangé a émergé dans la scène post-rock/post-punk avec un groupe sauvage qui tangue entre un blues sauvage et un punk lent et agressif: il s'agit d'Eugene Robinson, fondateur du plus grand groupe de rock des années 90 et 2000 à mon goût, Oxbow. C'est donc une excellente surprise de le voir également apparaître sur le label Monotype aux côtés du plasticien sonore Philippe Petit, connu pour ses musiques de film et ses collaborations avec Lydia Lunch. The crying of lot 69 sera également l'occasion d'inviter quelques personnalités musicales comme Rhys Chatham, qui paraît avoir définitivement adopté la trompette, Helena Espvall au violoncelle et Hervé Vincenti à la guitare et au synthétiseur.
J’allais oublier, parallèlement à ses activités musicales, Robinson a également publié quelques livres, et il s’est donc bien évidemment chargé d’écrire les textes qu’il récite durant ces six chapitres. Une narration soutenue et superposée à des espaces sonores provenant de field-recordings, d’électroniques, de guitare préparée, de platines et de ballons de baudruche (!). Si vous avez déjà goûté à l’ambiance malsaine d’Oxbow, vous ne serez certainement pas étonnés que les textes déclamés ici, façon spoken-words, soient aussi sombres et quelque peu psychotiques. Malheureusement, il n’est plus question de chant, Robinson ne fait que parler ou (dé)clamer, parfois crier ou pleurer, mais la puissance émotionnelle de sa voix demeure intacte, il me paraît difficile de ne pas partager ses peurs et ses souffrances, ou n’importe quelle émotion qui affecte ses paroles et sa voix. Et ne comptez pas sur Philippe Petit pour rééquilibrer la déconstruction psychique de Robinson, ses différentes nappes sonores, qu’elles soient électroniques, acoustiques, ambient, industrielles ou bruitistes, ces différents paysages sonores donc, ne font qu’appuyer la narration de ce récit sombre, glauque, et parfois assez malsain. Les compositions musicales sont en parfaite adéquation avec la narration, le son se fait signe et crée la dynamique narrative, la musique construit le récit par-dessous les paroles.
Certes, ces six chapitres qui forment The crying of lot 69 ne font pas rêver, ils peuvent même avoir un côté cauchemardesque où se mélangent les angoisses de Robinson et les influences cyberpunk et apocalyptiques de Petit. Une peur déraisonnée pointe son nez à travers des émotions angoissées, mais ces sentiments, aussi noirs soient-ils, n’en sont pas moins humains, et cette humanité omniprésente à travers le filtre névrotique/industriel/apocalyptique rend cet album puissant et chaleureux derrière une fausse froideur hostile. Un objet étrange où se mêlent obsessions personnelles, trames narratives, expérimentations textuelles et musicales, textures sonores signifiantes et récits abstraits. Au final, le duo Eugene Robinson & Philippe Petit construit un récit aussi sombre que chaleureux, aussi dérangeant qu’envoûtant, paradoxalement, il est aussi difficile d’accepter et de pénétrer cet univers que d’en sortir, c’est le même aspect hostile qui nous retient de manière vicieuse dans cet univers noir (univers également très bien représenté par les illustrations du livret). Recommandé !
Tracklist: 01-Chapter 1: The Table, The Stone / 02-Chapter 2: Modern Trends in Modernity / 03-Chapter 3: In My Curiosity / 04-Chapter 4: Change in Total / 05-Chapter 5: What Eros Is / 06-Chapter 6: The Right Eye Cast