Enregistrée deux ans plus tôt lors d'une tournée européenne, Action mécanique est issue d'un seul concert à Sofia. Pour le premier disque de son nouveau label, Jonas Kocher (accordéon, objets) improvise aux côtés de Michel Doneda (saxophones soprano et sopranino) avec qui il avait déjà enregistré un très bon trio: ///grape skin (publié par another timbre et chroniqué ici).
Tout au long de cette unique pièce, l'heure est au calme et à la quiétude, malgré des accords dissonants et des harmoniques multiphoniques. Le souffle de Doneda se mêle à celui du soufflet, les clés et les plateaux des saxophones se noient dans le clavier et les touches, de longues notes se soutiennent et se maintiennent hors du temps. Lentement, l'intensité monte, la tension apparaît, jusqu'à ce qu'au milieu de la pièce, tout explose. A ce moment, le duo atteint une puissance au seuil de l'intolérable, mais une puissance nécessaire, la force libérée devait obligatoirement voir le jour et c'est elle qui donne sens à tout le reste de la pièce. Car les expérimentations qui la succèdent et la précèdent prennent leur sens dans ce sommet, elles le préparaient. Quelques minutes suffisent, tout se joue ici et explique les quarante autres minutes d'accalmie, car pour arriver au sommet, il est nécessaire de grimper, et étant donné qu'on ne peut y rester, il faut forcément en redescendre, revenir à la réalité, une réalité plus méditative, moins tendue, plus sereine.
La structure est simple, on monte et on descend, mais ce n'en est pas pour autant une pièce pauvre. Toute la richesse réside dans l'écoute très sensible du partenaire, dans les interactions très proches des sons qui s'entremêlent et se déploient les uns dans les autres. L'attention aux textures est extrêmement intense et les paysages sonores sont créés et explorés avec un détachement mystique, une sérénité méditative et un calme contemplatif. La simplicité de la structure permet aux deux virtuoses de se concentrer pleinement sur les timbres eux-mêmes et d'exploiter des territoires sonores uniques et variés, dans une progression linéaire où le milieu de la pièce paraît exercer une force centrifuge autour de laquelle gravite des trajectoires soniques curvilignes. C'est structure permet également une gestion de l'espace assez riche: où le silence a sa place tout comme ces sons extrêmement faibles qui aiguisent la perception, mais où l'espace peut également être saturé de sons et atteindre une consistance oppressante.
Simple et sereine, cette progression vers un point précis culminant se fait en toute quiétude en passant par des des territoires vierges et uniques. L'exploration de l'interaction forme des univers inouïs, des univers intenses, puissants et précis. L'action mécanique est peut-être cet effet centrifuge du centre autour duquel tout gravite, ce passage aussi court qu'intense, d'une force presque surhumaine mais tellement cohérente et pleine de sens. Recommandé!