West Head Project est une formation australienne spécialisée dans les performances en milieu extérieur. Chaque performance est primordialement déterminée et conditionnée par le lieu de représentation. Pour cet enregistrement datant de 2009, Dale Gorfinkel (trompette préparée, racines d’arbres, « objets sonores automatisés »), Jim Denley (flûtes de bambou et tchèque, ballons, saxophone alto) et Monika Brooks (accordéon) ont choisi de se promener sur une île tasmanienne et de jouer avec l’environnement sonore naturel et artificiel.
Avant tout, il faut dire que l’ambiance créée par ce West Head Project est très singulière : le mélange des installations de Gorfinkel, des longues notes de Brooks, des expérimentations de Denley et des sons naturels, abouti à une atmosphère irréelle parce que trop réelle. Chaque membre paraît en parfait accord avec sa propre démarche esthétique mais également avec l’environnement naturel et intentionnel (c'est-à-dire avec le lieu de représentation autant qu’avec les partenaires). A closely woven fabrik, ou un tissu densément tissé, ne signifie rien d’autre que le réel d’après Merleau-Ponty. Et West Head Project parvient à créer une forme de réalité où sont étroitement imbriqués l’imagination, la création, la virtuosité, la naturalité, la spontanéité et l’artificialité, le tissu n’étant rien d’autre ici que la texture sonore. En choisissant un lieu non destiné à la représentation artistique néanmoins, ainsi qu’en utilisant des objets non musicaux, West Head Project tente certainement, en tout cas y arrive, à se débarrasser de toutes formes d’artificialités et d’illusions : l’absence de scène spectaculaire permet d’accéder à un niveau de représentation plus proche du réel car plus éloigné de la mise en scène, tandis que les techniques étendues et les installations sonores approchent au plus près de l’individualité des musiciens, qui s’éloignent ainsi des attentes formatées des auditeurs, et développent leur musique selon un processus beaucoup plus réel car plus proche de leurs désirs et de leurs aspirations.
C’est bien beau tout ceci, mais peut-être que certains aimeraient aussi savoir ce qu’il se passe, concrètement, durant ces trois pièces. Pas facile à expliquer, ou à synthétiser... Le trio joue sur des textures surprenantes et envoutantes, ces tissus où de nombreux fils se croisent. Les fils, ce sont des lignes suivies par chaque musicien, que ce soient des drones, des bruits percussifs, des nappes étendues, des souffles, sans oublier les chants d’oiseaux et autres bruits « parasites ». Chaque musicien explore une ligne précise, qu’il entrecroise avec celles de ces partenaires et avec l’environnement général pour arriver à un tissu sonore souvent riche. Car autant chaque son est déjà intrigant par lui-même, autant la superposition de chacun est absolument envoutante. Les textures interrogent, surprennent, excitent l’imaginaire, hypnotisent, et suscitent de nombreuses émotions. Même les passages les plus abstraits sont constamment emplis d’humanité, d’émotions, de sensations et de chaleur, car l’attention portée à l’environnement et aux partenaires est toujours très sensible et intensive.
En gros, A closely woven fabrik est un disque profond et intense, qui pose des questions originales et trouvent des réponses esthétiques riches et personnelles, plus spontanées que conceptuelles, plus pratiques que théoriques, malgré ce que pourrait laisser penser la référence explicite du titre à Merleau-Ponty. Trois pièces où se succèdent différentes dynamiques, des dynamiques variées qui déploient des textures sonores merveilleuses, singulières et intelligentes. Complètement onirique malgré un ancrage profond dans le réel, A closely woven fabrik plonge l’auditeur dans des territoires sonores denses et hypnotiques, riches et originaux. Hautement recommandé !
Tracklist : 01-Spruces / 02-Roots / 03-Glade