Tierce est un trio international qui réunit depuis 2007 plusieurs figures de la musique électroacoustique: Jez Riley French tout d'abord (électronique, objets, field-recordings, cithare, micro-contacts, etc.), Daniel Jones aux platines et à l'électronique, et enfin, Ivan Palacký (machine à tricoter amplifiée... oui vous avez bien lu). La performance qui a donné lieu à la publication de l'album Caisson est une unique pièce d'une heure issue d'un concert enregistré dans une galerie d'art à Hull en novembre 2010.
Imaginons un caisson donc, où une caisse, assez grande, n'importe laquelle, le plus important étant l'espace qu'elle contient, et non sa fonction. Car l'espace paraît essentiel pour nos trois musiciens: la musique électroacoustique proposée ici forme comme une sorte de design sonore, où le son individualise l'espace en le remplissant. Quels sons d'ailleurs? Difficile à dire, ça navigue constamment entre le bricolage électronique, des enregistrements de toutes sortes (cloches, fonds sonores discursifs, oiseaux, etc.), des bruits étranges méconnaissables, et ce tout se mélange et se fond en une seule nappe fluctuante et mouvante, légère et corrosive, agressive et calme. Aucune hiérarchie n'est établie entre les différentes sources sonores, elles sont toutes au service d'une seule strate. Et cette strate habille dans le temps un espace qui se crée en même temps qu'il est habité par la musique.
Bien sûr, il y a une certaine forme d'exploration sonore à l’œuvre durant Caisson, les trois musiciens parcourent chacun un univers sonore qui lui est strictement personnel, mais le timbre ne semble pas être leur première préoccupation. Chacun semble bien plutôt intéressé par les propriétés et les caractéristiques spatiales des sons: comment tel bruit va-t-il emplir l'espace, comment l'écoute de tel autre son va-t-il faire percevoir l'environnement spatial? Caisson joue avant tout sur la perception (la "micro-listening" dirait Jez Riley French dans son interview pour another timbre), le trio joue sur les possibilités de modifier notre perception (auditive en un sens, mais aussi visuelle, et pourquoi olfactive et gustative, ou même proprioceptive) par le biais d'une écoute attentive qui évolue dans un environnement global dont l'objectivité et la solidité sont remises en cause ici.
Cependant, en elle-même, malgré le calme qui la caractérise, cette musique est plutôt tendue, certainement à cause de l'évolution et des fluctuations incessantes, comme si toute forme de dynamique statique était redoutée, mais également à cause du caractère souvent abrasif des sons utilisés, ainsi que par le remplissage progressif mais apparemment inéluctable de l'espace. Un espace qui se remplit, mais pas seulement par des sons, le silence prend aussi une place prépondérante au fur et à mesure de cette pièce, un silence tellement présent qu'il devient l'égal des sons avec qui il dialogue. Des silences d'une consistance effrayante et pesante. Une musique surtout pas statique ni linéaire qui évolue sur des terrains instables et souples, à travers des espaces parfois saturés de bruits, ou bien de silences, mais aussi sur des territoires aérés et propres à la méditation ou à la contemplation. Une approche qui flirte avec l'infini (du temps comme de l'espace), si calme et posée qu'aucune barrière ne semble pouvoir mettre fin à cet univers.
Je n'ai pas écouté le premier album de Tierce publié sur le label de Jez Riley French, mais Caisson, malgré ses difficultés d'approche de par l'attention énorme qu'il requiert, permet un voyage micro-sensoriel très singulier à travers un espace complètement investi et personnellement agencé par les musiciens. L'approche du son et la démarche "intuitive" sont radicales, ce qui donne une musique extrêmement bizarre, inattendue et inouïe, mais une fois surmontées les réticences culturelles, Caisson possède la faculté d'emmener l'auditeur à l'intérieur d'espaces fantastiques, où les catégories kantiennes de perception s'annihilent en même temps qu'elles s'exacerbent. Une musique surnaturelle qui semble permettre l'épanouissement, l'ouverture et la maturation autant de la perception que des choses perçues (notamment le son, l'espace et et le temps).