Trophies est un projet qui réunit le guitariste Kenta Nagai et le batteur Tony Buck autour d'Alessandro Bosetti, compositeur, clarinettiste, et artiste sonore. Je dis bien autour, car tout semble s'articuler autour des préoccupations habituelles de Bosetti ici: notamment les liens, les interactions et les oppositions entre la musique et le langage. Pour cet album, ce dernier récite des textes plus qu'il ne les chante (hormis sur la dernière piste), et compose des paysages sonores à l'électronique.
Comme sur son précédent album, Royals, duquel il tire même un sample et un texte, Alessandro Bosetti utilise ici encore le langage comme matériau fondamental. Des textes, des phrases et des mots sont récités de façon monotone et nerveuse, et Become Objects of Daily Use continue d'explorer la musicalité du langage en dédoublant ces récitations par des samples ou par la guitare de Nagai. D'une part, cette démarche se comprend, qui consiste à déployer l'aspect musical du langage, mais pourquoi ajouter à cette intention déjà complexe et compliquée un autre matériau, musical cette fois, la musique improvisée? Car Trophies réunit deux démarches différentes où se juxtaposent une exploration du langage en tant que musique, ainsi qu'une sorte de duo improvisé guitare/batterie. D'accord, la guitare colle parfois au texte et le dédouble comme les samples de Bosetti, mais le jeu nerveux et empreint de free jazz pour lequel a opté Tony Buck est complètement hors-sujet. Il en ressort une musique étrange, déséquilibrée, puisque si l'aspect monotone et agressif des récitations est respectivement appuyé par la guitare de Nagai et la batterie de Buck, on se demande à quoi peut servir cette batterie constamment autonome et indépendante, sans aucune attache avec Bosetti et Nagai. On ne sait jamais trop où se placent ces instrumentistes vis-à-vis de la structure générale, soutiennent-ils le dialogue de Bosetti, l'appuient-ils, le rejettent-ils, le servent-ils en s'y opposant, à moins qu'ils ne s'en foutent? Une intention très étrange, pas claire du tout.
Néanmoins, il reste tout de même certaines pistes très intenses malgré la monotonie recherchée, où le trio semble en accord avec lui-même, où l'aspect séquentielle des compositions de Bosetti gagne en puissance grâce à l'appui des deux instrumentistes, qui n'en restent pas moins de talentueux musiciens. Une oeuvre bizarre, où l'ambiance reste la même au fil des pièces, dont la structure reste opaque et ne se dévoile pas, mais qui a tout de même le mérite d'exploiter un filon fécond: le rapport entre musique et langage toujours, car Bosetti possède bel et bien, et nous le prouve une fois de plus avec ce projet, un don pour explorer ces deux domaines et en magnifier les points de fuite et de rencontre, il a toujours ce talent pour transformer le langage en musique et la musique en langage.
Tracklist: 01-This is not the same as chanting / 02-He was a very fox gentleman / 03-Hotels are ripping you off in D.C. / 04-He came close to simply proceeding / 05-Enumerating issues of coexistence / 06-In the backseat listen to him talk / 07-Let me take out the dog / 08-Spaceship