Publié en 2007, Doppelgänger est un trio électroacoustique qui réunit Ernesto Rodrigues à l'alto, Birgit Ulher à la trompette, ainsi que Carlos Santos au sample en temps réel (live-sampling), et je pense que ce dernier joue le rôle de doppelgänger, c'est-à-dire le double (maléfique ou bénéfique) des musiciens, l'ombre fantomatique qui les poursuit et surtout, les soutient. Pendant cinquante minutes, les trois musiciens originaires d'Allemagne et du Portugal proposent six improvisations où les textures acoustiques sont constamment remaniées et réinterprétées par Carlos.
Tout d'abord, comme au fondement, nous avons les textures instrumentales, toutes les potentialités sonores et techniques propres au violon et à la trompette sont déployées dans toute leur étendue. Le son du cuivre, des pistons, de l'air, les différentes attaques possibles et les jeux d'embouchures, de positionnement de la langue et des lèvres, sont diversement utilisés par Birgit. De son côté, Ernesto explore le violon dans sa matérialité même, bois, cordes, chevalet, cordier, sont frottés doucement ou violemment, le timbre est brut et les sonorités variées, toutes sortes de modes de jeux sont utilisés: l'archet rebondit, caresse ou racle l'alto, les cordes sont finement pincées ou le pizzicato se fait agressif, etc. Ces deux univers sonores s'emmêlent inextricablement, une grande attention est requise pour distinguer les différents timbres et les sources sonores. Car en plus, de son côté, Carlos en rajoute une couche en samplant ces deux univers pour en former un troisième, encore plus intimement entremêlé aux deux autres, le tissage et l'assemblage sonore se fait alors encore plus étroit et intime. Chaque phénomène sonore se trouve prolongé, un écho omniprésent constitue une nouvelle nappe qui soutient et maintient la connexion entre chacun. Comme dans l'excellent duo Butcher/Durrant, le sample se fait d'un côté extrêmement original et humain grâce à son matériau de base spontané et acoustique, et d'un autre côté, il constitue une surface interactive qui explose les frontières des instruments, qui déploie hors de toutes limites les possibilités techniques et sonores des instrumentistes.
A l'image de la photo d'Ernesto, le paysage est vaste, minimal, avec des traversées abrasives (route) et escarpées (relief), tout en restant humain (prairies, milieux naturels de l'homme). La connexion entre les trois musiciens est surprenante tellement elle est intime, et la délicatesse comme la sensibilité au son collectif autant qu'à ses variations et développements, aussi infimes et minimes soient-ils, sont constamment de mises. Six improvisations qui agencent des textures savamment, avec poésie et ingéniosité, dans une symbiose puissante et intense. Un album à écouter fort, qui demande quelque effort avant l'immersion, mais dont le voyage peut facilement ravir et surprendre.
Tracklist: 1-The iddle class / 2-The one / 3-Welt am draht / 4-The third man / 5-Face/Off / 6-Johnny Stecchino