[8] syllables, dernière parution chez Peira, et également ma dernière sélection provenant du label chicagoan, est un album solo du trompettiste de plus en plus renommé Nate Wooley. Pour une fois, le titre de l'album indique véritablement quelque chose sur la nature des compositions, car il s'agit ici pour Nate Wooley de composer des phrases musicales à partir de phonèmes, en adoptant les positions des lèvres, de la bouche et de la gorge sur la trompette même. Première particularité, la seconde est le lieu d'enregistrement, ISSUE Project Room où Nate Wooley était invité en résidence cette année, est une salle où la résonance atteint les sept secondes.
Par rapport au reste du catalogue Peira, [8] syllables fait vraiment figure d'ovni, d'une part parce que c'est un solo complètement écrit et prémédité, mais surtout quant à sa structure et à l'univers musical qui en ressort. Si le trompettiste produit souvent de longs flux mouvants autour d'un pôle instable, à l'aide du souffle continu, en ne s'écartant jamais trop de l'axe sonore initial, des flux souvent très énergiques et puissants, ces phrases sont néanmoins espacées par des silences excessivement longs, des silences extrêmes et radicaux. Il y a une frontalité brutale, une séparation qui ne supporte pas la conciliation, entre les sons produits (longs flux interminables ou très éphémères cris véhéments) qui résonnent et emplissent lentement l'espace qui se sature vite de sons, et les silences interminables et bruts qui ponctuent et structurent cette unique pièce. La confrontation est brutale, extrême et agressive, il y a comme une disjonction exclusive et radicale entre le son et le silence durant ces cinquante minutes.
Côté sonore, Nate Wooley explore toujours les potentialités de la trompette, et fait sensiblement varier ses sonorités en utilisant des postures corporelles provenant de la langue orale. Je dis bien sensiblement, car la différence n'est franchement pas flagrante, et ce sont plutôt les qualités acoustiques du lieu d'enregistrement qui renouvellent le timbre et le paysage sonore du cuivre. Nate Wooley est toujours épatant de virtuosité néanmoins, et il parvient constamment à utiliser toute l'étendue sonique de la trompette à des fins structurelles et émotionnelles fines et intelligentes. Car [8] syllables n'est certainement pas qu'une composition conceptuelle, l'utilisation du silence et l'attente qu'elle suscite produisent chez l'auditeur une tension parfois aux limites du supportable. Tandis que la puissance sonore des interventions plutôt pointillistes et hurlantes autant que les longues phrases continues suscitent quant à elles des émotions intenses et puissantes, dès lors que le son parvient à traverser la totalité du corps de l'auditeur de par sa puissance étonnante.
Ce retour à l'acoustique pure, après une utilisation prépondérante des systèmes d'amplification comme dans son précédent album solo Trumpet/Amplifer et High Society avec Peter Evans, confirme encore une fois le talent, la puissance et la créativité de Nate Wooley, trompettiste improbable et aventureux qui parvient toujours à explorer de nouveaux univers radicaux et extrêmes, comme ce dernier, mais toujours fins et nouveaux. Recommandé!