Sur ce nouvel album publié par PSI, Evan Parker collabore avec un étrange quartet que je n'avais encore jamais entendu: Grutronic. Aux claviers analogiques, oscillateurs, radios, samplers, ordinateurs, etc., on retrouve donc Stephen Grew, Richard Scott, Nick Grew et David Ross; et bien sûr, Evan Parker, l'inépuisable, au saxophone soprano - pour un enregistrement live datant de 2009 durant un festival à Bratislava.
Projections soniques, lignes de fuite saturées, beats déconstruits et instables, se trouvent mêlés aux longs flux continus et polyphoniques d'Evan Parker. Cette collaboration révèle un véritable art du contrepoint, contrepoint rythmique, mélodique et esthétique. Des lignes se mélangent avant d'être fracturées par un mur de bruit blanc, un beat chancelant tente d'émerger d'un feu d'artifices analogiques; très vite il devient difficile de reconnaître le territoire sur lequel évolue ces cinq musiciens: breakcore, EAI (ElectroAcoustic Improvisation), IDM (Intelligent Dance Music), improvisation libre? C'est bien sûr un peu de tout cela, mais surtout le tout ensemble et indifféremment. Les origines et les influences s'entremêlent sans complexe, les styles et les personnalités s'articulent les uns aux autres sans hiérarchie ni principe esthétique rigide. Il s'agit en fait d'une musique libre et décomplexée, à l'esthétique complètement hors-norme et surtout hostile à tout principe esthétique. Evan Parker semble complètement à son aise dans cet univers extraterrestre, le timbre multiphonique et métallique de son soprano s'intègre parfaitement aux phrases excentriques et hallucinées du quartet Grutronic qui fait tout de même l'effort d'insérer quelques lignes jazzistiques et d'aménager des espaces propices à un instrument acoustique. Quant à Grutronic, comment décrire ce quartet qui ne ressemble à rien mais semble tout de même s'inspirer de nombreux prédecesseurs: une sorte de Thomas Lehn à huit mains (et quatre personnalités...), de Venetian Snares décomplexé ou d'un Bad Plus déconstruit qui aurait mal digéré sa dose de speed...
En tout cas, ce qui ressort de cette collaboration est plutôt saisissant: l'inventivité ahurissante de Grutronic, qui réussit constamment à surprendre avec des phrases toujours inattendues et souvent incongrues, ainsi que l'intensité et la puissance propres au jeu d'Evan Parker, notamment au soprano, font de ce live une performance inouïe et intense. La musique électroacoustique, dans sa forme traditionnelle (instrument plus nouvelles technologies séparées), semble encore en pleine forme et paraît surtout avoir encore des choses à dire. Car cette formation propose quelque chose de neuf dans son contenu malgré une construction formelle entendue mille fois, un contenu débridé, contrapuntique et hystérique, où n'importe quoi peut surgir à n'importe quel moment: une phrase héritée du jazz-rock, une nappe d'harmonica, des larsens, des slaps, un beat inopportun, du bruit blanc, des cercles analogiques percés de lignes synthétiques, etc.
Près de cinquante minutes d'intensité maximale, de déconstructions irrationnelles et de références surprenantes et inattendues, mais surtout de créativité intarissable et d'écoute attentionnée. Recommandé!
Tracklist: 01-Filigree and circuitry / 02-Mesomerism in rhythm