Cette semaine, j'ai reçu d'Ernesto Rodrigues une bonne dizaine de disques publiés par son label, donc autant vous dire que vous allez en bouffer ces prochains temps. Je pense les chroniquer par ordre chronologique, donc je commence par Drain, un disque publié en 2006 sur lequel on trouve Ernesto au violon alto, Mathieu Werchowski au violon, et Guilherme Rodrigues au violoncelle.
Je n'avais pas écouté ce disque depuis un bon bout de temps, et je me suis vite rendu compte de son caractère inimitable et de sa profonde singularité. A partir d'une formation instrumentale classique, Werchowski et les Rodrigues déploient et explosent les possibilités sonores de cette forme de trio. Les cordes sont pincées, frottées, raclées, caressées, tapotées, brutalisées, tandis que l'étendue atteint les lourds et ronds abysses du violoncelle aussi facilement que les harmoniques les plus stridentes du violon. Explosion de techniques étendues, mais aussi de modes de jeux, qui peuvent passer d'un instant à l'autre d'une forme mélodique ou rythmique à une forme purement bruitiste et timbrale, ainsi qu'à des bourdons ou à des formes percussives.
Ceci-dit, les cordes frottées sont des instruments qui ont déjà été explorés dans tous les sens, à commencer par la musique savante, et ce notamment dans les années 60. Mais ce qui fait que Drain reste encore mémorable et digne d'intérêt cinq ans après sa publication, ce sont surtout les interactions qu'il déploie entre les trois musiciens. Et l'interaction, tout comme les dynamiques, est ce qui semble avoir le plus préoccupé ce trio lors de ces quatre improvisations, plus que l'exploration des instruments à proprement parler. Rodrigues père et fils, et Werchowski, ont su produire des textures extrêmement denses et intenses, des nappes pleines de tension et d'énergie, des nappes constamment mouvantes dont l'évolution est imprévisible (était-ce seulement prévisible pour les musiciens? rien n'est moins sûr). De manière générale, le son est assez homogène, les timbres se rejoignent, mais tout en se frottant, ou en se repoussant, ce qui fait que chaque instrumentiste se distingue clairement au sein d'un son plutôt globalisant. L'Individu au service de la communauté sonore en quelque sorte, les personnalités s'affirment dans leur singularité tout en se soustrayant à l'évolution du groupe. Ce qui fait des différentes textures explorées des univers singuliers où les tensions entre les instruments et les sons se résolvent dans la parfaite cohésion de cette communauté sonore.
En bref, Drain rassemble quatre improvisations étonnamment denses et intenses, mais surtout débordantes d'énergie et de tension. Tension qui se résout comme je le disais dans la cohésion du son collectif; tandis que l'énergie de chacun est quant à elle exacerbée par la communauté des sons. Un disque puissant et original, extrêmement riche tant au niveau des timbres que des compositions de sons, car l'interaction possède ici comme une vertu émancipatrice et exaltante. Hautement recommandé!
Tracklist: 1-Graduation / 2-Light / 3-Metaphor / 4-Solitude