Proxemics est l'oeuvre de quatre musiciens habitués à venir à Chicago, ou y résidant, ce pourquoi ils ont pu enregistré cet album en avril 2010 à l'Experimental Sound Studio. On y retrouve donc deux vents répartis chacun sur une enceinten, Boris Hauf (saxophones ténor et soprano, sinetones et harmonium) et Keefe Jackson (clarinette contrebasse et saxophone ténor) ainsi que Steve Hess à la batterie et à l'électronique, et enfin Juun au piano. La formation instrumentale n'a rien d'original, deux soufflants, un piano et une batterie, on pourrait presque croire à une formation jazz, mais c'est surtout l'usage des instruments et la forme des pièces qui est innovante, voire surprenante.
L'atmosphère est globalement calme durant ces 45 minutes, elle est même presque méditative la plupart du temps. Le quartet déploie de longues nappes sans pulsations, des nappes lisses qui transforment la durée en temps entièrement subjectif, ainsi que de longues phases où tout l'intérêt réside dans l'interaction entre les différentes idées musicales au caractère souvent obstiné. Ceci-dit, le jeu des instrumentistes est extrêmement puissant et l'ambiance est exceptionnellement tendue et forte, envers et malgré l'intérêt considérable porté aux textures et aux timbres. Encore plus étonnant, des lignes mélodiques n'hésitent pas à surgir et à nous emporter dans un torrent d'émotions, ce qui enlève tout caractère abstrait à cette étude sur l'interaction entre les musiciens, interaction qui, malgré ce qu'on a l'habitude d'entendre, peut aussi passée par des mélodies concrètes. Ce sont surtout les attaques des saxophones qui étonnent par leur puissance, des attaques franches, répétées rapidement après de longs intervalles, mais aussi les phrasés mélodiques et les esquisses rythmiques que Steve Hess maintient la plupart du temps à l'état embryonnaire. Il faudrait aussi noter avec quelle délicatesse et quel sens de l'espace Juun parvient à disséminer timidement quelques arpèges et bourdons au piano. Mais aussi, l'utilisation d'électroniques par Hauf et Hess qui flirtent aussi bien du côté du drone que de la musique concrète et du field-recording, tout comme les vents peuvent facilement passer d'un phrasé mélodieux à des techniques étendues réductionnistes (souffles, slaps). Le plus surprenant, c'est qu'avec tout ces éléments, le quartet ne verse ni dans l'abstraction ni dans le collage surréaliste. Il y a au contraire une profonde cohésion tout au long du disque et beaucoup de linéarité durant chaque pièce, car chaque idée est maintenue jusqu'à son épuisement, non pas formel, mais surtout émotionnel. Un peu comme si chaque idée musicale surgissait de la conscience collective du quartet lorsque la précédente ne faisait plus corps avec les émotions du collectif comme de l'auditeur.
Trois improvisations très cohérentes et chaleureuses, pleines d'émotions variées et sensibles, qui savent allier recherches formelles sur le timbre, les textures, et surtout les interactions entre les différents éléments instrumentaux et formels, avec une puissance et une force étonnantes véhiculées notamment par les lignes mélodiques mais également et surtout par les textures elles-mêmes. Recommandé!
Tracklist: 1-Public / 2-Social / 3-Personal