PISARO/PRADO - White Metal (Senufo, 2014) |
Le disque est composé en quatre parties qui durent chacune entre quatre et treize minutes, et séparées par des silences numériques de quelques minutes. A l'intérieur de chaque partie, on peut trouver des formes thème et variations, des coda, etc. mais c'est assez difficile de les distinguer nettement même si on a tendance à les ressentir - car il ne s'agit presque que de bruit blanc. Contrairement à la plupart des compositions de Pisaro, il n'y a pas de sine waves, ni de guitare, mais beaucoup de bruit digital et de field-recordings (provenant de Big Sur, Californie, près d'où habite Pisaro et spot favori de Deleuze...). Pisaro et Prado réalisent donc une partition consacrée au bruit blanc qui comporte de très nombreuses variations : notamment sur la couleur du bruit qui peut changer en fonction de la fréquence qui ressort le plus et du filtrage des fréquences, ainsi que sur les volumes qui vont de pianissimo à fortissimo, etc. Les deux musiciens incluent également de nombreux enregistrements marins, mais également d'avions (voire de fusée?), de vents, d'oiseaux, etc. C'est dire la diversité présente, le bruit blanc est présenté ici sous toutes ses formes : naturelles, artificielles, travaillées, non-éditées - pour servir de matériau de base à une composition très riche.
Toute la finesse de Pisaro consiste à ne pas considérer le bruit blanc comme du bruit, mais comme un matériau intégralement musical. Pisaro et Prado utilisent ici le bruit pour sa chaleur, pour son mouvement, pour sa constance, pour sa texture, pour sa densité, et pour d'autres caractéristiques qu'ils travaillent au gré de la composition. Le travail de composition est ici très narratif et nous amène constamment d'un paysage sonore à un autre de manière progressive. Un musicien amène une fréquence, l'autre ne bouge pas, puis amène une autre fréquence, avec toujours un fond nuageux et brouillé de neige sonore. Ou alors les deux musiciens augmentent progressivement et sans accroc le volume ou la densité du bruit exploré. Bref, autant de possibilité qu'avec un orchestre finalement, et Pisaro semble bien considérer le bruit comme tel. Il s'agit d'une masse sonore inerte et apathique dès lors qu'on n'y touche pas, mais qu'on peut sculpter de telle manière qu'il devienne beau, voire magnifique. A partir de bruit, Pisaro est parvenu justement à sculpter cette matière qui peut paraître morte ou inerte pour en faire quelque de très vivant, comme un océan, de clair dans la forme et de très riche dans le contenu.
Il est parvenu à composer encore une fois quelque chose de tout simplement magnifique. Hautement recommandé.