Joe McPhee - Ibsen's Ghosts (Not Two, 2011)

Enregistrées au théâtre Victoria à Oslo en 2009 et publiées par le label polonais Not Two, auquel je consacrerai cette fin de semaine, voici cinq improvisations d'un quartet réunissant autour du saxophoniste légendaire Joe McPhee deux autres musiciens originaires de la ville emblématique du free jazz, Chicago, le tromboniste Jeb Bishop et Michael Zerang à la batterie, ainsi que le norvégien Ingebrigt Håker Flaten à la contrebasse.


J'ai pas mal écouté Ibsen's Ghosts cette semaine, et je dois avouer que ce n'était pas toujours de bon coeur, je n'appréciais vraiment que la section rythmique au départ. Au fil des écoutes, j'ai fini par réussir à m'immerger dans cet univers typiquement américain, un univers d'urgence et de spontanéité. Tout d'abord, McPhee, un ténor chaud et puissant, dans la lignée d'une perpétuelle recherche du Cri, un cri qui n'en finit pas de prendre diverses formes depuis Trane, mais le saxophoniste ne fait pas qu'exploser dans une rage désormais commune et parfois lassante, il peut également se faire exceptionnellement lyrique et réellement mélancolique. Mais le plus appréciable dans ces improvisations reste sans aucun doute cette section rythmique d'assaut: contrebasse et batterie explorent de multiples modes de jeux, de la percussion arythmique des cadres et de l'archet produisant des harmoniques véhémentes en passant par des pizz proches du jazz, et des tornades de virtuosité et de rapidité typiques du free. Le seul bémol à mon goût porte sur Bishop, trombone souvent monotone, sans relief et trop ornemental. En tout cas, les cinq improvisations de ce quartet brassent une énergie propre aux années 60 et 70 tout en explorant des formes musicales modernes, en multipliant les dynamiques (le quartet n'hésite pas à calmer très fortement les tensions, à s'accorder calmement), et les combinaisons instrumentales. L'écoute est intense entre la contrebasse et la batterie, mais ces derniers ne forment pas une section rythmique formelle, juste instrumentale, car leur fonction est aussi dynamique et parfois mélodique que McPhee et Bishop. Par moments, on a droit à quelques magnifiques duos basse/batterie où la virtuosité et l'inventivité de chacun peut pleinement ressortir, un duo qui sait magnifiquement créer de nombreux reliefs et de multiples formes énergiques sur lesquelles peuvent ensuite se greffer la puissance de McPhee.


Cinq improvisations en hommage au dramaturge danois Ibsen (musicalement, je n'ai vu aucun rapport et je pense que l'hommage lui a été rendu seulement à cause du lieu d'enregistrement) qui savent explorer quelques formes musicales neuves, et qui réussissent donc à rafraichir une forme, le free jazz, qui a pas mal tendance à s'épuiser, tout en conservant sa puissance et son intensité originaires. Le quartet utilise des modes de jeux souvent puissants et intenses, déstructure les hiérarchies entre instruments et évite l'écueil des improvisations collectives cacophoniques aussi bien que la perpétuation d'une improvisation trop proche du jazz, même si elle sait parfois s'en inspirer, et même très bien. Du bon free puissant qui rafraichit la tradition et lui redonne du souffle.