eRikm / Norbert Möslang - Stodgy (Mikroton, 2011)
Stodgy, c'est trois pièces assez courtes enregistrées dans les années 2000 avec la moitié de poire_z, soit eRikm et Norbert Möslang (membre également de Voice Crack, le légendaire groupe d'improvisation noise suisse). J'ai presque envie de dire heureusement, ce disque n'est pas long, car les trois morceaux présentés ici sont violents, et n'offrent pas beaucoup de répit et/ou de repos aux auditeurs. Trente minutes de triturations électroniques et numériques, de larsens contrôlés et de crépitements assourdissants, de bruits blancs et de drones, de rythmiques proches du breakcore et du hardcore. Musique résiduelle en quelque sorte cette fois encore, une musique que l'on doit aux imperfections de toute sorte d'appareils pouvant multiplier les fréquences audibles ou non. eRikm muni d'un 3k-pad, de boucles numériques, et d'électroniques d'un côté, de l'autre, Möslang avec son installation électronique défaillante; le duo ne fait pas dans la dentelle mais tisse un réseau très dense de fréquences stridentes, grinçantes, violentes, puissantes et agressives, accompagnés parfois de souvenirs évanescents et dadaïstes de musiques de rave. C'est d'ailleurs ici que l'on reconnait le mieux eRikm et ses intenses collages hystériques et épileptiques.
Trois collages denses et intenses, d'une agressivité puissante, d'une violence exceptionnellement agréable, parfaitement mixés et masterisés par eRikm et Giuseppe Ielasi. Boucles, rythmiques, tissage nodal de fréquences stridentes et résiduelles, bruit blanc et larsens, s'enchaînent pendant trois morceaux avec une logique toujours surprenante, dans des structures rebondissantes et hyperactives. Recommandé!
Tracklist: 1-Stinger / 2-Aérolithe / 3-Micelle
Rhodri Davies/Mark Wastell - Live in Melbourne (Mikroton, 2011)
Par rapport au duo eRikm/Norbert Möslang, la musique proposée ici par le duo Davies/Wastell est déjà plus surprenante. Première trace publiée de leur collaboration, les deux musiciens quittent leur instrumentarium habituel pour s'adonner à des expérimentations électroacoustiques: tandis que le harpiste Rhodri Davies use de l'électronique lo-fi, le violoncelliste Mark Wastell déploie un large éventail de sources sonores allant des lecteurs CD et MD aux micro-contacts et hauts-parleurs en passant par des céramiques, des cloches et des pré-enregistrements.
Les textures travaillées ici ne ressemblent donc pas à celles qu'ils pouvaient auparavant déployer aux côtés de John Butcher par exemple, mais quand même. La même attention est toujours portée à chaque couleur sonore considérée comme une matière physique à part entière, capable de produire de nouvelles formes de beauté et de poésie, mais également, et surtout, de musique. Plus précisément, ce Live est construit à partir d'une seule pièce continue d'une trentaine de minutes. Pas vraiment un drone, mais tout de même linéaire, cette pièce est composée de plusieurs séquences qui se succèdent, séquences souvent composées de matériaux discrets et subtils, de crépitements légers, de bourdons fantomatiques, de sons sans sources sonores, proches parfois des nouvelles formes d'improvisations électroacoustiques telles que les développent Ryu Hankil ou Richard Kamerman, mais ceci seulement au niveau du matériau sonore, et non au niveau de la structure moins fracturée et plus linéaire que chez ces derniers. Ceci-dit, il y a quand même de nombreuses séquences, mais qui s'enchaînent et se succèdent avec fluidité. Assez inégale à mon goût, cette pièce certainement improvisée a tout de même retenue mon attention pour le puissant crescendo final, cette coda intense et apocalyptique plutôt bouleversante, ainsi que pour de nombreuses textures et la sensibilité du dialogue.
Peut-être inégale, une pièce qui reste cependant riche de contrastes, de reliefs, et de trouvailles sonores et interactives. Riche et innovant, ce Live offre tout de même une musique curieuse et créative.
El Infierno Musical - A tribute to Alejandra Panzarnik (Mikroton, 2011)
Encore plus surprenant que le duo Davies/Wastell: le dernier projet de Christof Kurzmann, El Infierno Musical, hommage à la grande poète argentine, Alejandra Pizarnik. Le groupe est composé de Kurzmann à la voix, électronique (et saxophone alto puis guitare électrique sur deux pistes), Ken Vandermark au saxophone ténor, à la clarinette et à la clarinette basse, Eva Reiter à la viole de Gambe, Clayton Thomas à la contrebasse et Martin Brandlmayr à la batterie et au vibraphone. Chacun de ces musiciens est célèbre dans les milieux du free jazz et du réductionnisme, mais El Infierno Musical, contre toute attente, est un recueil de chansons tirées de l’œuvre éponyme de Pizarnik.
Évidemment, c'est plutôt déroutant au départ: Kurzmann scande des poèmes, les rythmiques sont discrètes, simples et précises, les solos de Vandermark sont très lyriques et mélodieux, la basse retrouve sa fonction harmonique et accompagnatrice, etc. A considérer cette suite comme une œuvre expérimentale, on ne peut que difficilement s'enthousiasmer, car Kurzmann utilise dans son écriture des langages connus de tous, plus qu'un pied de nez à l'improvisation non-idiomatique. Cependant, il faut considérer, il me semble, EIM comme une suite de chanson avant tout, et c'est à partir de ce point de vue que leur intérêt peut apparaître. Extérieurement à la musique, c'est déjà plus que surprenant d'entendre la plupart de ces musiciens interpréter des chansons, c'en est même presque ahurissant tellement on était habitué à autre chose. Quant à la musique, en-dehors de la voix de Kurzmann que je n'apprécie pas particulièrement, ça m'a paru très rafraichissant d'utiliser des techniques de jeux et d'écritures propres aux musiques improvisées (jazz, réductionnisme, free jazz) comme des improvisations collectives, des chorus où chaque instrument peut quitter sa fonction traditionnelle, aux musiques improvisées mais également à certaines musiques populaires (chanson, rock) comme des mesures en 4/4, des ostinatos, etc. Un grand coup de frais pour la chanson, mais surtout un pari très risqué pour ce type de musiciens qui n'arrivera pas forcément à convaincre leurs admirateurs habituels. En tout cas, l'accompagnement musical est simple, sobre, humble mais effectué avec précision, attention et sérieux, tandis que les séquences plus improvisées sont interprétées avec personnalité et chaleur.
Pour ce premier vinyle sur le label Mikroton (également disponible en CD), Kurzmann a su produire une musique très surprenante, et innovante, en revenant paradoxalement à une musique traditionnelle. Je ne pense pas que Panzarnik ait connu le free jazz, ni si elle était amatrice de musiques improvisées au sens large, donc au premier abord, ça me paraît judicieux de lui rendre hommage sous la forme de chansons tout en utilisant des techniques personnelles et créatives. Un album osé, franc, et aventureux - à sa manière - si simple, chaleureux et honnête qu'il pourrait paraître provocant... A l'image du collage influencé par Bosch qui orne la pochette: une curiosité!
Tracklist: 1-El infierno musical / 2-Ashes I / 3-Dianas tree / 4-Para Janis Joplin / 5-Cold in hand blues / 6-Ashes II