Côté enregistrements, la palette de sons est incroyable. D'un côté, on a de l'eau bien évidemment, l'eau submergeante des cascades qui conclut le crescendo de la première moitié du disque, mais également le mouvement du Mekong qui se jette dans la mer. Merzouga a su diviser son parcours en plusieurs tableaux variés qui correspondent aux ambiances et aux régions traversées, et donc ces tableaux se composent parfois de nuées d'insectes, de bruissements de feuilles, d'enfants jouant sur les rives, de musiques traditionnelles, d'oiseaux, puis pour finir, l'inquiétante ville avec son chaos sonore de klaxons, de moteurs, de cris et de bonimenteurs, de machines, etc. En tout cas, le montage opéré par Merzouga est assez exceptionnel, chaque son est choisi selon ses qualités musicales, qualités ensuite déployées par les ajouts instrumentaux et électroniques, le collage entre les différents univers compose une suite de scènes qui évoquent aussi bien la diversité des paysages physiques et sonores rencontrés tout au long d'un des plus grands fleuves du monde, mais qui est surtout très bien construit musicalement (suite de crescendo et de tensions, mais également de nappes reposantes et de contrastes).
Je dis toujours que je n'aime pas vraiment les field-recordings, pour l’aspect figuratif qui cache trop souvent les qualités musicales du son, mais après Mekong Morning Glory, Nuit d'Eric Cordier et Seijiro Murayama, Standing Sitting d'Anne Guthrie et Punto Cero, Aragon de Luis tabuenca et Wade Matthews, quatre disques fantastiques sortis en une année, et basés sur des field-recordings, il va peut-être falloir que je pense sérieusement à revoir mon jugement. Merzouga a su ici explorer la puissance musicale d'enregistrements non-musicaux en les collant et les composant de manière précise et savante, de manière musicale en fait. Même si les enregistrements sont exceptionnellement évocateurs et figuratifs (on a réellement l'impression de longer le Mekong en une heure), ce tableau en apparence objectif est traversé par la subjectivité et les émotions propres au duo. Mekong Morning Glory donne le sentiment d'une œuvre aboutie et achevée, aussi poétique et musicale que documentaire. Très bon boulot!