Slow Breath est une composition de Bruno Duplant, interprétée ici par lui lui-même au cor et à l'électronique. La pièce est dédiée à Radu Malfatti et a été publiée sur son propre label, B-boim. Il s'agit d'une pièce de quarante cinq minutes, très proche des compositions de Radu, une pièce minimaliste avec très peu de notes et beaucoup de silence.
Durant le premier quart d'heure, une note apparaît doucement avec un léger crescendo et disparaît assez rapidement en un petit decrescendo. Chaque note, souvent la même, est espacée de longs silences d'une trentaine de secondes, et à partir d'un quart d'heure, elles sont souvent doublées par une ombre parasitaire d'interférences électroniques discrètes. Petit à petit, les notes se resserrent de plus en plus et changent de plus en plus, mais de manière globale, il y a excessivement peu de changement de notes, et énormément de silence. Le cor rappelle bien sûr le trombone de Radu, avec ses uniques notes répétées mécaniquement; sauf qu'ici le cuivre est plus vivant à cause des légères variations d'intensités au début et à la fin de chaque intervention, mais aussi grâce au souffle et à l'électronique qui viennent donner de la chaleur mais aussi, et surtout, du relief, à chaque note. Bruno souhaitait pour cette partition donner l'impression d'une respiration lente et irréelle. Autant dire que le pari est réussi. La longueur des pauses qui séparent chaque intervention, l'irrégularité de leurs longueurs tout comme de la durée de chaque note, la lenteur exacerbée du mouvement global de cette pièce, tout concourt à donner à cette respiration - car on a tout de même l'impression d'une respiration grâce à la répétition des notes, à la pulsation illusoire et lente qui semble guider la dynamique de la pièce - tout concourt donc à faire de cette respiration une respiration fantomatique et fantastique. Une respiration d'une lenteur yogique et d'une vitesse hors de toute proportion. Une respiration qui pourrait être celle de ces animaux gigantesques vivant dans les profondeurs abyssales et inexplorées de certains océans.
Une pièce très calme et très lente, apaisante et envoûtante, qui possède un caractère vraiment fantomatique et surréel. Il y a d'un côté cette respiration, qui provient d'une source inquiétante parce qu'inconnue. Mais aussi cette manière qu'a chaque note d'apparaître et de disparaitre. Tous les sons surgissent du néant et y retournent avec un naturel déconcertant. Il n'y a aucune rupture entre le silence et les notes, et c'est cette continuité étrange entre ces deux termes habituellement opposés qui a su renforcé mon impression d'irréalité. C'est fantomatique et fantastique car on arrive ici dans un univers où l’opposition son/silence perd son sens et s'abolit. Les notes surgissent naturellement du silence et y retournent aussi facilement car l'opposition n'existe plus dans Slow Breath, nous sommes dans un univers où le silence vaut comme musique, autant que la note, qui vaut comme musique et non comme note au sein d'une échelle harmonique. Ici, chaque son est musique, tout est musique, les distinctions entre son, bruit, note et silence perdent complètement leur sens et on retrouve une musique simple et originelle, primitive et poétique.
Plutôt minimaliste et répétitif, Slow Breath nous plonge directement dans un univers très calme où chaque évènement est déconcertant par sa simplicité et son naturel (sa spontanéité nécessaire). Un univers calme et plat, aéré et simple, mais très sensible et délicatement relevé par des irrégularités qui forment autant de licences poétiques que nécessaires. Licences qui nous absorbent et nous étonnent. Très proche de l'univers de Radu et de Wandelweiser en général, Slow Breath est une pièce plutôt belle et réussie, elle sait autant tenir l'auditeur en haleine que créer des images mentales originales. Bon boulot de composition et d'interprétation!