ADRIAN REW - Slot Machine Music (Ergot, 2013) |
L'écoute de ces enregistrements relève d'une expérience similaire à l'écoute de harsh noise en fait. J'ai rarement entendu de field-recordings aussi massif, agressif, essoufflant et dense. Musiques d'ameublement permanentes, cris, annonces, dialogues, bruits et musiques des machines, l'univers sonore des casinos est saturé. Le flot d'informations est massif, énorme. Une expérience très intense qui peut faire penser aux musicircus de Cage, car la superposition d'informations empêche la concentration sur un élément, tout est aussi important, que ce soit de la musique, des bruits, la parole, etc. et chaque audition se révèle alors unique, puisqu'on ne se concentre jamais sur la même chose.
Vous l'aurez compris, l'écoute de ce disque est plutôt difficile. Les enregistrements ne sont pas traités, ils sont laissés tels quels : bruts, denses, répétitifs, assomants, forts - comme une balade en métropole... L'écoute ne relève pas du plaisir, mais de l'agression pure. Du moins au niveau sonore. Car à un autre niveau, les enregistrements relèvent également du sociologique et de la théorie sociale. Avec ces trois pièces, Adrain Rew pénètre un univers méconnu des non-initiés, il le pénètre et en dévoile les aspects aliénants et manipulateurs. L'accord des machines entre elles, les différences de volume, tout relève d'un calcul basé sur la manipulation des clients, la manipulation de ses faiblesses, de ses addictions et de son inconscient, sur l'incitation permanente au jeu, à la consommation. Et par extension, on se doute que l'univers visuel et olfactif est régi de la même manière. Et que de toute manière, nos centres commerciaux, nos logements, nos rues, nos salles de spectacles, nos centres sociaux, nos villes, tout est régi de cette manière : par un chaos sonore et visuel qui nous impose la consommation.
Slot Machine Music nous plonge alors dans le coeur même de cette imposition violente et souveraine. Toute la violence que l'environnement exerce sur chaque personne se trouve mise à nue dans sa couleur la plus brute et la plus dure. Rarement une collection d'enregistrements de terrain ne m'a paru aussi intéressante au niveau sociologique. Il ne s'agit pas tant de recherche sonore pure ici - même si l'univers sonore des casinos est vraiment unique et très riche - mais plutôt de dévoiler la violence que l'environnement peut exercer, et elle est admirablement dévoilée ici. Dur, sans concession, épuisant, inhumain, laid : parfaitement à l'image de ce qui nous entoure - ce que je trouve aussi intéressant qu'admirable.