BEUGER/PISARO - this place/is love (Erstwhile, 2013) |
Il s'agit d'une pièce en trois parties composées de plusieurs éléments qui forment des strates apparaissants et disparaissants dans les temps. Ces éléments sont un clavecin, une guitare, la voix, le texte, des sinusoïdes, des field-recordings et des silences. Chaque partie dure une vingtaine de minutes et des textes lus par Beuger forment les deux transitions et la conclusion. Petit à petit, les parties sont de plus en plus épurées et minimalistes. Ainsi, la première est constituée de l'ensemble des éléments listés plus haut et ressemble beaucoup à une pièce de Pisaro. Il y a un field-recording, enregistrement d'une ambiance assez banale et quotidienne, et chaque instrument, tout comme les voix et l'électronique, épaississent l'enregistrement sans prendre le dessus. Généralement, un seul ou deux éléments au maximum établissent ainsi le dialogue avec l'environnement. Puis, sur la deuxième partie, l'environnement prend le dessus, les musiciens sont moins présents, plus abstraits, moins mélodieux, les voix disparaissent. Enfin je dis ça par préjugé, comme si le contrôle était laissé entièrement aux musiciens, mais comme je le disais, c'est surtout le field-recording qui prend le dessus, qui a plus de présence et est plus abstrait. La musique tend alors à s'évanouir, à devenir d'une évanescence poétique face à l'environnement.
Ce qui est mis en avant durant ces deux parties, c'est essentiellement l'influence qu'un changement d'environnement peut avoir sur la musique, sur l'influence que l'environnement a réellement, quelque soient les outils utilisés et l'environnement. Et ceci est encore mieux perçu durant la dernière partie, la plus émouvante. Au bout de cinquante minutes et jusqu'à la fin du disque, la musique est réduite à une seule note de guitare suivie d'une fréquence simple, comme sa résonance artificielle. Une note pure, médium, calme, accompagnée d'une fréquence qui s'évanouit sans "laisser de trace", répétée à intervalles irréguliers et laissant place à de longues plages de silences. C'est alors l'environnement de l'auditeur et sa perception qui prennent la place des field-recordings précédents. Et ce changement radical opère une influence encore plus importante sur la musique entendue. Dorénavant, les musiciens ne sont plus face à un environnement choisi, mais face à une infinité de possibles laissée à l'auditeur. Et c'est je pense ce qui rend cette partie aussi émouvante, la présence minimaliste, répétitive, stoïque et fantomatique des musiciens face à la multitude oppressante d'environnements éventuels auxquels Beuger et Pisaro répondent. Il s'agit d'une confrontation stoïque et poétique, mais vraiment poignante. Un grand moment.
Cette confrontation et ce stoïcisme se retrouvent aussi dans les questions posées par le texte lu aux moments clefs de this place/is love. Des questions poétiques sur la présence du son, une poétique psychoacoustique, qui pénètrent littéralement l'oeuvre et ne lui est plus seulement sous-jacente comme dans les travaux récents de Malfatti. Beuger et Pisaro semblent souhaiter accéder à un "état de virginité" qui les amènerait à être "fragiles" et "réceptifs" face à l'environnement, un état "plein de promesses" où une multitude d'attitudes serait envisageable face à une foule d'environnements possibles. "Les mots ne laissent pas de trace", on ne peut qu'adopter une attitude d'amour et d'innocence face à l'environnement, le recevoir pleinement et s'y intégrer jusqu'à l'évanouissement de la personnalité ; il ne sert à rien de tenter de la maîtriser, il faut seulement l'accepter entièrement.
Une collaboration magique, extrêmement forte et émouvante. Hautement recommandé.