CLAUDIO ROCCHETTI - the fall of chrome (Musica Moderna, 2013) |
De cette collection et de ses interrogations, deux objets en ressortent maintenant. Le premier est une composition de trois heures à partir de 300 cassettes collectées et trouvées sur des marchés. Rocchetti a écouté et assemblé ces bandes en une longue pièce de trois heures, dont la version finale n'existe pas. Seuls des fragments de cette pièce ont été réengistrées sur les cassettes qui ont servies de matériau initial. La composition est ainsi éparpillée sur les cassettes, qui de matériaux de composition, deviennent matériaux de diffusion et de publication : ce sont les cassettes qui ont servies à cette pièce qui sont maintenant revendues par le label. Car le but de Rocchetti semble être avant tout de bien faire interagir les matériaux de production et de diffusion, de mélanger sa composition aux débris et aux souffles des cassettes initiales. Ainsi, après une altération (qui n'est autre que le processus de composition), toutes les cassettes collectées sont maintenant revendues et réexpédiées. Rocchetti explore la texture des cassettes, la texture des environnements (qui peuvent aller des interviews aux démos, des compils de jazz aux méthodes de couture), et nous les relivre non pas tel quel (chaque enregistrement est fortement filtré et modifié, et est souvent submergé par le souffle de la bande), mais presque, car le souffle et la détérioration de la bande sont bien là.
C'est la première fois que j'écoute les travaux de cet artiste, et son rapport au support magnétique semble plutôt complexe. Rocchetti travaille les bandes pour leur texture, mais aussi pour la texture des machines qui les diffusent, pour leur souffle, et pour la disparité de ce qu'on trouve sur des bandes récupérées au hasard, pour les environnements hétéroclites. Un rapport complexe qui suscite des interrogations sur l'utilisation musicale de la bande, sur le bruit de manière générale, sur l'évanescence des enrgistrements, sur le silence aussi, sur la perception.
Et ces interrogations, il les soumet à de nombreux artistes qui travaillent également avec ce support. D'où le deuxième objet, un livre où les musiciens sont invités à parler de quelque manière que ce soit de leur rapport aux bandes. Parmi eux, Jérôme Noetinger, Brendan Murray, Daniela Cascella, Mattin, Ray Brassier, Howard Stelzer, John Olson, Lionel Marchetti, Ralf Wehowsky et Aaron Dilloway - pour ne citer que les plus connus - répondent par des entretiens, des discours philosophico-esthétiques, des dessins, des croquis, des poèmes-partitions, des collages, des photographies, des reproductions de pochette, etc. Un livre qui donne des réponses et pose des questions de manière poétique, philosophique et artistique.
Publication conceptuelle assez intéressante sur le rapport musical et personnel aux bandes (sur sa pertinence ou non, sa richesse, sa dimension politique, ses problèmes technologiques), ainsi que sur l'altération et la détérioration des supports d'enregistrement.