Le percussionniste Håkon Stene vient de faire paraître sur le même label deux disques où sont présentées des réalisations de compositions diverses mais toutes passionantes. Il ne s'agit donc plus d'improvisation libre ni de free jazz ici, puisque Stene ne joue ici que de la musique écrite, par des compositeurs éminents tels Alvin Lucier, Brian Ferneyhough et Michael Pisaro, ainsi que Lars Petter Hagen et Marko Ciciliani.
Sur le premier disque intitulé Etude Begon Badum, Stene réalise trois longues pièces entrecoupées par trois courts interludes de Lars Petter Hagen - miniatures électroacoustiques mélancoliques et poétiques, mais vraiment très courtes, trop courtes. La première pièce est donc un duo pour guitares électriques, écrite par Marko Ciciliani et réalisée par lui-même en compagnie de Stene. Deux guitares sur table, avec pédale fuzz et wah-wah accentuée, des notes répétées qui forment une pulsation puis une étrange nappe. La pièce est divisée en plusieurs parties, des parties fortes, mélodiques, faibles, pulsées ou texturales. C'est clair, mais on ne comprend pas trop ni le but ni l'intérêt. La forme est plutôt linéaire et les sonorités sont plutôt anodines...
C'est ensuite que ça devient plus intéressant. La deuxième pièce présentée est Silver Streetcar for the orchestra d'Alvin Lucier. Pour ceux qui ne connaissent pas cette partition, il s'agit d'une oeuvre solo pour un joueur de triangle, qui modifie la pression des doigts, la pulsation et la force de frappe, et peut se déplacer pour modifier les résonances. Le lieu choisi par Stene pour cet enregistrement est une pièce avec une réverbération grandiloquente. Le triangle prend ainsi une dimension très riche, offre des textures différentes et une présence très surprenante selon les déplacements et les différentes variations. Je ne suis pas sûr que c'est précisément ce que recherchait Lucier, mais Stene parvient à donner une intensité et une force exacerbées à cet instrument pourtant tout ce qu'il y a de plus discret et anodin.
De la même manière, Ricefall (1), de Michael Pisaro, est réalisée de manière à submerger l'auditeur par des flux sonores. Si l'auditeur se retrouve noyé dans les résonances du triangle pour la pièce de Lucier, il se retrouve ensuite noyé dans le déluge de riz conçu par Pisaro. A la base, cette pièce est construite en plusieurs parties où des grains de riz sont laissés tomber sur différentes surfaces résonantes. Stene a enregistré une réalisation encore très proche et forte de grains de riz qui semblent tomber à flot. Les résonances s'approchent souvent du bruit blanc, on est littéralement submergé par les flux et les ressacs de résonances. Pour ces deux pièces, Stene propose une approche qui rend ces compositions minimalistes plus attractives, une approche très physique et brute. On a souvent l'impression d'écouter de la harsh noise, version acoustique. Donc oui, c'est plus facile à écouter, ça prend au corps, c'est plus agressif et attractif, mais la violence exercée sur l'auditeur n'est pas forcément ce que recherchaient les compositeurs. En même temps, c'est ça aussi de laisser beaucoup de libertés, et tant mieux parce que ça change , et c'est bien réjouissant d'entendre de nouvelles propositions qui rompent avec l'orthodoxie.
Contrairement à l'album précédent, le "single" Bone Alphabet est consacré à une approche beaucoup plus rythmique et virtuose des percussions. Bone Alphabet, qui donne son nom à ce disque, est avant une pièce pour percussions de Brian Feneyhough, une des pièces les plus virtuoses pour le répertoire des percussions. L'instrumentation n'est pas fixée, mais l'interprète doit chosisir des instruments à l'attaque très claire et qui n'ont qu'un minimum de résonance, sept instruments dont les hauteurs sont également éloignées. Stene montre donc ici, avec ses blocs de bois, de métal, etc. toute sa dextérité et sa virtuosité pour servir cette pièce polyphonique, éclatée et kaléïdoscopique dont les lignes ont du mal à apparaître dans le flot d'informations. Une réalisation plutôt impressionante de cette pièce extrêmement difficile et pleine de poésie.
Vient ensuite un remix de cet enregistrement par Sir Duperman qui filtre cette réalisation et lui rajoute des effets, pour la détourner, ou la tourner en dérision, de manière assez humoristique, mais tout de même créative malgré la légèreté. Si les percussions sont clairement reconnaissables au début du morceau, elles apparaissent au fil du temps de plus en plus proches d'un Theremin ou d'un synthétiseur modulaire, c'est assez marrant et tout aussi virtuose, mais ça reste anecdotique.