AMM - Uncovered Correspondance: A Postcard From Jaslo (Matchless, 2010)
John Tilbury: piano
Eddie Prevost: percussion
Depuis 1965, un des plus célèbres groupes de free improvisation anglais nous a déjà livré de nombreuses œuvres mémorables (AMM Music, At the roundhouse, Sounding music par exemple). La nouvelle carte postale d'AMM est un enregistrement live, au sud de la Pologne, par les deux derniers membres courants: John Tilbury et Eddie Prevost (l'un des fondateurs).
Divisée en trois paragraphes, elle commence par quelques notes, puis quelques accords et quelques clusters de piano très espacés, où une place considérable est accordée soit au silence, soit aux frottements de cymbale à la teinte très riche et métallique de Prevost. La présence de Tilbury se fait ensuite de plus en plus éparse, tandis que les cymbales sont jouées avec délicatesse jusqu'au frottement rauque d'un tom basse. Viennent ensuite des battements réguliers de cymbale, des éléments réapparaissent, Prevost semble vouloir nous offrir des repères tandis que Tilbury, au contraire, s'éloigne de plus en plus. Le deuxième paragraphe de cette correspondance offre encore plus de silence, l'abstraction devient plus extrême, le timbre utilisé dans la première pièce est réutilisé et approfondi, radicalisé. En même temps, chaque son, chaque évènement, possède une force incroyable de par le silence où le calme qui l'entoure, même si le jeu est complètement minimaliste et souvent discret. La deuxième partie de cette pièce possède un caractère mélodique, l'utilisation d'accords tonaux, d'arpèges ou de modes, qui finiront par se mélanger et s'affronter, est sous-tendue par le même jeu de cymbale qu'au début du disque, même s'il est devenu plus délicat. En tout cas, les notes en elles-mêmes ne sont pas si importantes pour Tilbury qui s'attache surtout à laisser vivre chaque son qui peut sortir du piano, et le laisser résonner tout en admirant la rencontre des harmoniques qui s'ensuit. Une phase plutôt méditative ou contemplative en ce milieu de disque. Le troisième chapitre suit la même direction, on ressent de plus en plus la décomposition spectrale de chaque son, l'exploration sonique devient de plus en plus profonde, forte, et puissante. Après la méditation, place à une agression murale, à l'amplification extrême des clusters; la tessiture grave du piano se confond avec la grosse caisse, la symbiose s'opère violemment puis la vie peut reprendre son cours, tranquillement et sereinement, presque légèrement. La fin de cet épitre se fait effectivement tout en douceur, le son est aérien, éthéré, tout en maintenant une certaine gravité et une certaine tension.
L'atmosphère est sensible, tendue et inattendue, on ne sait jamais quand est-ce que l'un se décidera à jouer, et encore moins ce qui pourra bien émerger de sa conscience. Mais le développement de chaque matière apaise considérablement l'audition car il se maintient toujours sur le déploiement d'un matériau assez réduit. Après quelques périples aventureux au début de l'enregistrement, le même timbre est exploré tout au long de cette heure, et l'exploration perd de sa froideur une fois que nous acceptons de vivre aux côtés de ces sons, de contempler leur vie, leur structure et leur spectre. Chaque idée est claire, assumée, originale, et ne correspond à aucune attente: la musique d'AMM n'a perdue ni de sa fraicheur, ni de sa créativité.
01-Paragraph One / 02-Paragraph Two / 03-Paragraph Three