Ana Foutel & Federico Barabino - piano + no-input mixer (Ilse, 2011)

Si depuis les années 60, la Suède et le Danemark sont reconnus pour leur importance historique dans l'émergence du free jazz, notamment en tant qu'ils furent des pays généreux et hospitaliers pour nombre de musiciens tels Albert Ayler puis Don Cherry, ce n'est que depuis une dizaine d'années que les scènes autochtones scandinaves sont vraiment reconnues. A leurs côtés, d'autres pays parfois inattendus émergent aussi : le Liban, la Corée, l'Australie, la Palestine occupée, mais aussi, l'Argentine. La pianiste Ana Foutel et Federico Barabino (table de mixage bouclée sur elle-même) font partie de cette nouvelle génération de musiciens argentins émergents et présentent deux de leurs improvisations sur l'album intitulé tout simplement et sobrement piano + no-input mixer.

La première chose à signaler est la nécessité impérative d'un casque ou une absence complète de sons extérieurs pour écouter ce disque, car le duo peut atteindre par moments un volume très bas, aux limites de l'audible. Durant une heure, tout au long de ces deux improvisations électroacoustiques, le duo déploie une idée par phases/cellules qui se succèdent les unes aux autres. Pendant ces périodes, chacun des deux musiciens tentent de rejoindre l'autre dans une dynamique synergique, les fréquences discrètes de Barabino tentent de se fondre dans les martèlements hypnotiques de Foutel, il y a souvent un phénomène de symbiose inattendue dans l'interaction entre le piano et la table. Le frottement des cordes aigus s'amplifie dans une onde sinusoïdale similaire, des sortes de drones déploient les percussions envoûtantes du clavier, des bruits étranges et singuliers se juxtaposent et se soutiennent dans des moments de quiétude et de silence presque oppressants tellement ils sont extrêmes (cf. ces moments où on ne perçoit plus qu'un souffle électrique et des froissements).

Des défauts il y en a, bien sûr ces improvisations peuvent paraître longues lorsque des mouvements linéaires peinent à sortir du silence, ce silence parfois trop long et mal assumé. De plus, il se passe quasiment toujours la même chose, le piano émerge progressivement du souffle des amplis pour finalement être rejoint par Barabino. Sauf qu'on se lasse vite de cette structure répétée et personnellement, j'ai peu de fois réussi à me concentrer tout au long du disque. Mais d'un autre côté, lorsque les mouvements synergiques où les fréquences statiques de Barabino, certainement inspirées par Nakamura, rejoignent les flux répétitifs et linéaires du piano, il y a une dynamique intense qui voit jour et nous immerge à l'intérieur d'un paysage sonore riche et profond. Cependant, enregistrées dans la maison de Foutel, ces deux improvisations se noient parfois dans une intimité austère où l'auditeur paraît parfois malvenu, ou exclu.

Deux improvisations bizarres, où les reliefs sont d'une grandeur exubérantes, où l'intensité touche aux extrêmes : bas, fort, intense, ennuyeux, tout y passe. En tout cas, chaque passage emmené par une dynamique synergique, lorsque la symbiose opère, est d'une puissante intensité, et saura réjouir les adeptes d'EAI je pense. Un disque qui n'est pas exceptionnel, mais les deux musiciens sont tout de même à suivre dans la mesure où ils développent un univers vraiment singulier, souvent touchant, et toujours précis. 

Traclist: 01-Improvisation 1 / 02-Improvisation 2