Pour finir cette dernière série another timbre consacrée à l'influence de John Cage et du collectif Wandelweiser sur différents musiciens plutôt nouveaux, ce CDr rassemble deux pièces d'une jeune compositrice autodidacte dont je n'avais encore jamais entendu parler, Anett Németh. Malheureusement, je n'ai trouvé aucune information concernant cette prometteuse musicienne, hormis une interview sur le site d'another timbre.
La première pièce, écrite en 2010 est une œuvre pour piano, clarinette, objets ménagers, field-recordings et électronique. Durant A pauper's guide to John Cage donc, directement inspirée par l’œuvre de Cage, Németh utilise un nombre restreint de notes ou d'accords sur le piano, auxquels sont associés certains paramètres tels qu'une intensité précise, un certain type de résonance, etc. Ces différentes interventions répétées sont aléatoires et parsèment la pièce de manière sporadique. Autour d'elles s'articulent d'autres matériaux sonores comme les field-recordings, la clarinette, des instruments ou d'autres sources sonores modifiés plutôt simplement, ainsi que quelques fréquences sinusoïdales. Une pièce très aérée où les différents types de sources sonores s'équilibrent, dialoguent de manière narrative, et où le piano, central, acquiert au fil du temps une puissance lyrique et émotive de plus en plus intense. L'espace sonore est traité avec une attention particulière et une maîtrise surprenante, les jeux d'intensités et de silences forment une architecture sonique singulière, contrastée et équilibrée. Une construction espacée et poétique, où le lyrisme est teinté de délicatesse et de sensibilité, au son comme à l'espace.
La seconde pièce, Early morning melancholia, n'utilise plus d'instruments, mais uniquement des field-recordings et de l'électronique rudimentaires, censés décrire une mélancolie matinale comme son nom l'indique. Plus linéaire et moins contrastée, cette superposition de nappes lisses et continues effleure de près la pesanteur et la gravité de la sensation de mélancolie que l'on peut ressentir suite à une nuit d'insomnie par exemple. Une pièce très calme, presque contemplative, qui a perdu du lyrisme de la pièce précédente pour accéder à l'essence même de l'émotion envisagée, avec son angoissante sérénité et sa triste assurance. Juxtaposition de nappes sonores déjà entendues peut-être, mais rarement dans cette perspective figurative, car Némett tente bel et bien de peindre une émotion par des procédés musicaux nouveaux, mais selon un vieille philosophie romantique qui consiste à associer la musique à un flux d'émotions. Tradition et modernité se croise dans cette musique originale d'une compositrice extérieure à tout mouvement artistique (cf. l'interview publiée sur le site d'another timbre toujours). Si Némett ne s'intéresse plus vraiment à l'agencement sonore de l'espace, elle réussit néanmoins à pleinement déployer les propriétés émotionnelles de sons pourtant communs et rudimentaires.
A pauper's guide to John Cage rassemble donc deux œuvres différentes mais aussi belles et intenses l'une que l'autre, malgré certains aspects parfois abstraits, linéaires ou minimalistes. Une musique toujours profonde et chaleureuse, sensible et émotionnelle, qui croise différentes approches compositionnelles et esthétiques. Différentes démarches qui, à leurs points de jonction et d'interaction, forment une musique puissamment lyrique et profondément riche. Deux pièces vraiment belles, intelligentes et singulières en somme, recommandé!
Tracklist: 01-A pauper's guide to John Cage / 02-Early Morning Melancholia