Billy Gomberg, Anne Guthrie, Richard Kamerman - Blue & Gold, Delicate Sen (Ilse, 2011)

Encore une bonne initiative que de réunir ces trois jeunes musiciens radicaux issus de la scène expérimentale américaine. Trois formations différentes éparpillées sur quatre pistes: un duo prometteur nommé Fraufraulein sur la première piste, composé de Billy Gomberg au synthétiseur, à l'électronique et aux field-recordings, et d'Anne Guthrie au cor d'harmonie; puis l'ajout de Richard Kamerman aux percussions, moteurs, objets et guitarron sur les pièces suivantes forme le trio Delicate Sen; tandis que la dernière piste est une pièce solo de Kamerman toujours. Quatre pièces aventureuses et bruitistes, tendues et calmes, mais surtout, extrêmes.

La première pièce, "relaxed as an outline and flattens into the background", de fraufraulein, est une improvisation électroacoustique plutôt silencieuse, détendue et parcimonieuse. Sur un fonds sonore généré par Gomberg de hautes fréquences sinusoïdales à bas volume et de bricolages électroniques, Guthrie répète une longue note tenue le plus longtemps possible (relativement à un corniste...), des sifflements vocaux ou bien à travers la branche principale, joue avec les pistons ou l'embouchure, etc. Une pièce où tout paraît retenu et délicat, sensible et timide. Mais le manque d'assurance et l'hésitation finissent par créer une atmosphère intime et vaste, qui ne nuit absolument pas au côté aventureux de cette improvisation; car le duo fraufraulein part très loin dans l'exploration sonique et interactive du timbre. L'écoute est très attentive, et bien qu'à mille lieux de son partenaire selon les caractéristiques sonores des instruments qu'il emploie, chacun tente bon gré mal gré de rejoindre son double sur un terrain d'entente fertile et le plus fusionnel possible. Une belle pièce extrême, sensible et aventureuse.

Les deux pistes suivantes, "Tiger, wille you be my valentine?" et "Valentine, will you be my tiger?", sont jouées par le trio Delicate Sen. La présence de Kamerman augmente le volume certes, mais diminue l'importance du cor aussi. Ces deux pièces possèdent une couleur beaucoup plus noise, avec des sons souvent très abrasifs ou corrosifs, très industriels. Larsens et distorsions se croisent sur des nappes granuleuses faites d'imperfections technologiques, et Guthrie tente parfois tant bien que mal de trouver sa place parmi ce composé disparate et volumineux de trajectoires sonores. Bien sûr, il y a encore plus de reliefs et de diversités, beaucoup plus même, mais ces pièces sont moins aérées et plus opaques que celle de fraufraulein. Néanmoins, le nombre de potentialités déployées est tout de même réjouissant, le paysage dessiné par le trio est encore plus aventureux, car même en utilisant des sons déjà connus (distorsions, frottements de caisse claire, etc.), c'est leur imbrication et la structure éclatée de la pièce qui paraît originale et fraîche. Il reste que ces pièces sont vraiment plus dures d'écoute et ce n'est pas qu'une question d'attention et de concentration, il y a toujours une forme d'éclatement et d'opacité qui empêche de s'immerger pleinement à l'intérieur de l'univers exploré par ce trio, sans parler des sons vraiment étranges produits notamment par Kamerman avec ses moteurs et objets; deux pièces que je n'ai donc pu apprécier que par intermittence, inégales et austères, mais créatives et toujours aussi extrêmes.


"He criticized their failure to stop. (hence the cause of so many excuses)" est la dernière piste et est jouée en solo par Kamerman, principalement au guitarron (guitare basse mexicaine sans frette) sur fonds électroacoustique discret. J'ai particulièrement aimé cette pièce pour l'ambiance singulière due à l'utilisation du guitarron. Il y a tout d'abord des manipulations électroacoustiques, des sortes de grattements et de frottements avec un microcontact, auxquelles succèdent des interventions parcimonieuses au guitarron et (croyez-le ou non) mélodiques même! Une pièce très aérée et éthérée, influencée par des formes obscures de post-rock, d'électroacoustiques lo-fi et de blues. Kamerman dépeint ici un territoire désolé et triste, mélancolique et proche de la dépression. Mais un paysage radicalement neuf et singulier, et surtout très sensible. La gestion de l'espace est beaucoup plus ouverte et plus facile pour nous, car l'aération permet à l'auditeur de véritablement s'immerger cette fois.

Dans l'ensemble, ces trois projets n'ont rien de facile et peuvent même paraître hermétiques tellement ils sont extrêmes. Cependant, en plus d'une belle pochette, Blue & Gold, Delicate Sen offre tout de même quatre pièces créatives et toutes différentes, aux univers variés, contrastés, sensibles et aventureux.

01-relaxed as an outline and flattens into the background / 02-Tiger, will you be my valentine? / 03-Valentine, will you be my tiger? / 04-He criticized their failure to stop. (hence the cause of so many excuses)